Le mur de l'Alhambra - 3 -

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Tout ceci est vrai ... dès lors que le monde ne s'effondre pas. C'est le souhait de tout solitaire : de s'assurer que le monde sans lui s'effondrerait. C'est sa raison d'être et de vivre : il faut rester connecté au monde car il n'aurait plus de sens sans moi. C'est faux : le monde a sa trajectoire, son sens, sa direction. Je le répète : nous ne sommes que des obstacles.

Alors qu'advient-il quand le monde s'effondre sans lui ? Quand il jette un voile pudique sur le reste, sur la solitude, sur les vides ? Comment se fait-il, d'ailleurs, qu'il ait réussi cet exploit ? J'ai quitté le mur de l'Alhambra pour lui. J'ai rejoint des centaines d'hôtels pour que je jouisse de son parfum, de sa musique et de son corps.

Sans lui, mon monde n'est plus total. La musique reste. Le parfum reste. Mais de moi, que reste-t-il ? Ma complaisance pour la noirceur. Est-elle sincère, ancrée en moi ; ou bien est-elle le symptôme d'un manque profond ? Qui sait, puisque je l'ignore moi-même. Il reste le mur de l'Alhambra.

Ce soir, je suis assis devant. Sur ce banc modestement composé de trois pierres rectangulaires. Un chat est installé juste à ma droite. Il ne bouge pas, ne miaule pas, ne fait aucun bruit. Il respecte le silence que je me suis imposé dans ma tête. Il fait noir, la fumée est là, ni musique ni parfum ne se font sentir.

Dans ma tête, en revanche, sa peau me transperce. Mes narines saignent tant elles n'arrivent plus à encaisser le choc de son odeur. Mes oreilles se bouchent à force d'entendre cette mélodie. Pourquoi cela ressemble-t-il à l'enfer ainsi décrit alors qu'au fond, j'implose ? Sentez la chaleur se répandre en moi. Voyez combien mon plaisir jaillit sur le sol.

Je veux trembler ! Je veux dire non et qu'il comprenne oui. Qu'il sache que ma négative sera toujours pour lui un accueil sans restriction. Je veux que mon corps entier soit malmené par les flots qu'il devra assumer. Je veux que les dieux m'observent prendre davantage de plaisir qu'eux en une éternité.

Face à un monde qui piétine, voici celui qui construit. Temporairement, bien sûr. Mais cela me convient. J'ai accepté qu'il devienne mon monde pour l'instant. Sinon, je ne serais pas assis sur ce banc. Je serais resté contre mon mur, à attendre que la nuit se dissipe. Ce qui n'arrivait jamais. Désormais, il suffit que je sente son parfum pour qu'il fasse jour.

Mon idéal de vie tourmentée a volé en éclats grâce à lui. Il suffit pour cela de me regarder à l'instant. Je suis différent. Même le félin à ma droite a compris. Il vient de se lever pour l'accueillir. Ne me le vole pas, il est à moi. Et je suis à lui. Je rêve déjà de la seconde où je sentirai son corps tout entier sur moi. Dès lors, mon monde n'a qu'un prénom, qu'une odeur et qu'un écho.

Il ne faut rien connaître au monde pour refuser de se donner à un homme. Est-ce parce que le monde a été si ténébreux pour moi que je peux désormais parfois l'assimiler à lui et, en cela, lui donner quelques éclats ? C'est probable. J'en veux pour preuve cet instant : il vient de poser sa main dans mon cou. Liquéfié, je me suis levé et, déjà, il m'amène à l'abri de tous les regards. Je t'en supplie, ne me fais pas attendre. N'hésite pas, possède-moi.

Les petites folies de Kerray (B&B)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant