Tout était doux - 3 -

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Je n'avais rien demandé. Pendant quelques semaines, nos échanges furent épistolaires. Il m'écrivait surtout le soir, éreinté par ses études. Souvent, il s'inventait des scénarii au sein desquels l'un se faufilait dans le lit de l'autre. J'ai cru à un fantasme, le plaisir de l'inconnu, peut-être aussi de l'écart d'âge.

Jusqu'au jour où il arriva de nouveau au restaurant et m'embrassa. Réellement. Après des semaines d'échanges, il en était convaincu, il était amoureux. Pendant deux ans, nos vies se sont entremêlées. Il venait chez moi le week-end, ou bien nous partions en vacances. Il n'a jamais voulu que je lui paie le moindre voyage. Il avait peur que je me fasse des idées.

Il acceptait exclusivement mes cadeaux lors d'occasions spéciales, et à condition que nous fixions un budget équitable. J'avais droit à quelques largesses vu que, moi, j'avais un vrai salaire. Jusqu'au jour où, lui aussi, en eut un et put ainsi augmenter le montant de ses présents. Il était infiniment heureux.

Mes amis m'ont traité de fou pendant des mois. Ils voyaient un quadragénaire au bras d'un homme. Notre relation était en effet dans ce sens. J'ai laissé faire, j'ai accepté. Le destin s'est abattu sur moi et je ne lui ai pas résisté. A quoi bon, de toutes manières. Il m'aurait poursuivi jusqu'à l'aéroport.

Tout était doux avec lui. J'ai compris que je n'avais jamais fait l'amour avant lui. Il s'est moqué de mes amourettes passées. Il savait que je ne m'étais jamais attaché. Je vivais ma vie de célibataire paisiblement, sans abuser de ma libido qui ressemblait à une statue parfois mouvante mais, par définition, plutôt constante et de marbre.

Alexis m'a dit qu'il m'aimait un an après l'esclandre au restaurant. Le lendemain de son anniversaire donc. Je lui ai fait part de la réciprocité de ce sentiment. C'était la vérité. C'est toujours la vérité. J'aime cet homme. Celui qui n'a jamais accepté de vivre chez moi. Alors, à défaut, je venais tous les soirs le voir.

Je venais. C'est terminé. Je l'ai compris. Sa famille est loin. Mais sa famille existe. Il la craignait. Ici, il était loin de tout. Loin d'eux. Moi, j'étais seul, comme lui. Mais réellement. Les uns sont morts tandis que les autres ne méritent pas de me savoir en vie. Il a, en somme, donné un peu de couleurs à mon monde.

Je pourrais perdre le contrôle de mon véhicule à cet instant, ce serait parfait pour un film. Mieux, il faudrait qu'il me percute en voiture. Comme le premier soir. Sans que rien ne nous arrive. Sauf quelques égratignures. De toutes manières, l'ambulance est derrière. Elle pourra arriver rapidement.

Je t'aime Alexis. J'ai compris. Il t'a rappelé auprès de lui. Ton frère a refait surface, alors tu es rentré. Il t'a manqué. Tu me l'as dit. Alors, je l'ai cherché. Tous les soirs, après avoir vu ta lumière, je m'employais à retrouver sa trace. Ce ne fut pas si difficile. Il s'était éloigné de ta famille. Il ne savait pas que le petit Alexis à peine né pouvait ressentir le manque.

Tu ne reviendras plus. Ton alter ego, c'est lui, pas moi. Je ne suis qu'un homme de quarante-et-un ans que tu as aimé pendant deux ans. Tu auras été le seul que j'ai aimé. Et pas seulement pendant deux ans. Prends soin de toi au Danemark. Moi, je partirai bientôt aussi. Pas ce soir, je t'en fais la promesse. J'ai gardé le contrôle de ma voiture.

Les petites folies de Kerray (B&B)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant