Chapitre 17

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Mardi, 10 h 37, Jeanne boit son café à la cuisine et regarde par la fenêtre.

Un air glacial s'est installé sur la région, offrant un temps clair et dégagé, malgré la fine couche de neige qui a saupoudré la ville. Jeanne admire la houppe gelée du chêne qui contraste avec le ciel bleu clair. Pour parfaire toute cette beauté, les cristaux de gel qui parent le centenaire, capturent habillement les timides rayons du soleil.

Jeanne ferme les yeux et revoit l'état de l'appartement de Charline avec le mobilier renversé, le trou dans le mur, sans doute fait quand Charline y a été projetée... Et le sang... Les projections au mur et la tache au sol, là où sa fille a dû perdre connaissance, puis la trace laissée quand elle a rampé jusqu'à la porte.

Ce lieu est le témoin silencieux du calvaire de sa fille. Bien qu'infirmière expérimentée dans la gestion des états graves, la mère de famille quinquagénaire se sent dépassée par les évènements.

D'abord l'accident d'Yvan qui l'a conduit dans un lit d'hôpital et très certainement dans une chaise roulante. Puis Charline, qui a été agressée chez elle. Les policiers qui sont venus l'interroger à l'hôpital ont évoqué un cambriolage qui aurait mal tourné, car Charline, solitaire dans l'âme, n'a aucune relation amicale, ni amoureuse, donc personne ne peut lui vouloir du mal.

Jeanne repense à la conversation qu'elle a eue avec H, un soir durant les jours passés chez sa fille hospitalisée :

Charline est devenue une âme solitaire après la mort de Rachelle, se désole-t-elle. Enfants, elles étaient liées comme des sœurs jumelles, alors en se suicidant, Rachelle a emporté une partie de ma fille avec elle dans la tombe.

Jeanne essuie ses larmes ruisselantes et triture la couture de son jeans :

Charline s'est mise à repousser tous liens affectifs, mais j'ai bêtement cru que ce serait passager. Le temps passant, elle devenait de plus en plus seule, alors je lui ai proposé d'aller voir un spécialiste et je crois que c'est à partir de là qu'elle s'est mise à faire semblant d'aller mieux, mais toujours solitaire...

Jeanne inspire profondément en fixant la partie du mur réparé par H :

Charline était seule cette nuit-là, parce que je n'ai pas su gérer la situation... ma propre fille et je n'ai pas su l'aider.

T'y es pour rien, répond H. J'crois que ta fille sait ce qu'elle veut et ce qu'elle ne veut pas, ajoute-t-il, l'air serein. C'est une fonceuse, elle avance envers et contre tout, elle surmontera ce qui lui est arrivé, comme elle a surmonté le suicide de Rachelle.

C'est tout le problème, car je crois qu'elle ne surmonte rien, car elle s'efforce de mettre ses émotions de côté. Sa carapace n'en sera que plus épaisse et impénétrable, j'ai condamné ma fille à une vie de solitude, sanglote Jeanne.

Le SMS de Vince sort Jeanne de ses idées noires. Comme à son habitude, il prend de ses nouvelles, parce qu'il s'inquiète toujours autant pour elle, malgré leur longue et étrange relation.

Jeanne sourit en repensant au moment où ils se sont rencontrés. Cette fameuse nuit l'a profondément marquée, car c'était la première fois de sa vie, et malgré leur différence d'âge, qu'un homme la regardait comme une vraie femme et non une épouse, une mère, une infirmière, une amie... elle était vue et désirée comme une Femme.


Mi-novembre cinq ans plus tôt,

La neige est tombée abondamment durant la journée, causant de nombreuses chutes, cassant ainsi des membres, et créant des accidents de la route à foison. Jeanne a dû faire des heures sup à la clinique, elle rentre chez elle, tard dans la nuit glaciale.

Soulagée de pouvoir souffler, elle retire ses chaussures, allume la télé et s'effondre dans son canapé. Vingt minutes de zapping plus tard, un tambourinement à la porte la fait sursauter. Elle va voir qui est sur le perron et ouvre à Yvan. Derrière lui, dans l'Impala, garée le long du trottoir, deux hommes l'attendent.

Faut qu'tu m'aides, m'man ! déclare-t-il la voix vibrante d'inquiétude.

Qu'est-ce qui t'arrive ? s'inquiète-t-elle.

Un de mes potes est blessé, répond-il. Tu peux regarder ?

Yvan, soupire-t-elle.

S'te plait m'man, il s'est pris un coup de couteau et il refuse que je l'emmène aux urgences ! insiste-t-il.

Le vent souffle, hurle et tourbillonne pour entrer dans la maison. Malgré ce déchaînement naturel, Jeanne dévisage son fils, qui semble déterminé.

OK, soupire-t-elle. Mais si c'est grave, j'appelle les pompiers pour l'expédier aux urgences ! le prévient-elle.

Merci, lance-t-il avant de faire signe à ses passagers.

Les deux amis d'Yvan sortent et l'un d'eux a besoin de soutien pour marcher, surtout qu'il tient un pull imbibé de sang sur son flanc gauche, et même de loin, son teint pâle est flagrant. Yvan va les aider et Jeanne les laisse entrer. Elle lutte contre le vent pour fermer la porte, puis se retourne et étudie les deux jeunes hommes.

M'man voici H, déclare-t-il en le pointant du doigt.

Merci pour votre aide, m'dame, lance l'intéressé en la saluant d'un hochement de tête.

Et l'têtu qui pisse le sang, c'est Vince, ajoute Yvan.

Les yeux noisette du blessé brillent intensément alors qu'il la dévisage. À cet instant, elle ne se souvient pas d'avoir fait autant d'effet à un homme, même pas à Roland, son défunt mari, ni aux hommes qui sont passés dans sa vie par la suite.

Installez-vous au salon, je vais chercher ma trousse de secours, déclare-t-elle d'un ton professionnel.

Elle file à la salle de bain et récupère une grosse sacoche. Quand elle arrive au salon, Vince est assis sur l'accoudoir du fauteuil.

« Il joue les braves » se désole-t-elle, mais quand son regard accroche celui du blessé, une attirance inexplicable s'éveille en elle, d'autant que malgré son apparente fébrilité due à une perte de sang ou à la douleur, Vince lui donne l'impression qu'il pourrait lui faire connaître un moment torride et inoubliable.

Allongez-vous sur le canapé, déclare-t-elle d'un ton ferme.

Vince plisse les yeux d'agacement, exprimant sans mot dire son rejet des ordres reçus.

J'pisse le sang, j'vais tout saloper ! lui répond-il un sourire en coin.

Jeanne saisit le plaid plié sur le dossier d'un fauteuil et l'étend en guise de drap.

Allez ! ordonne-t-elle en lui faisant un signe de tête.

Vince grogne, mais lui obéit. Jeanne ouvre sa trousse, enfile des gants en latex et retire le pull que Vince tient toujours. Elle soulève son t-shirt et dévoile une belle estafilade au flanc. Elle examine la plaie et apprécie la peau ferme du torse qui semble sublimement musclé...

« Oh mon Dieu... Reste professionnelle », s'ordonne-t-elle intérieurement, consciente que Vince a les yeux rivés sur elle et que ça la trouble agréablement, mais elle a aussi pleinement conscience qu'ils ne sont pas seuls dans la pièce. « C'est l'ami de mon fils ! » se flagelle-t-elle en nettoyant les bords de la plaie

Une Cage et des liens 🔞 ( terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant