Apéro

713 61 55
                                    

Wilhelm se laissa tomber lourdement dans un fauteuil du salon privé de la famille royale. Épuisé par sa journée des plus contrariante, il jeta, sur la table basse, les magazines que son assistant lui avait rapporté. Depuis la fin de ses études de droits et politiques, il y a deux ans, cette journée était bien la pire qu'il avait passée. Il travaillait aux côtés de sa mère afin qu'il apprenne son futur rôle de roi et il l'avait convaincue de continuer à se battre pour les lois désuètes concernant les mariages des souverains et leur famille. Bien que cela soit parfois abominable de travailler avec des sénateurs et un parlement aussi peu ouverts, il n'avait jamais lâché prise. Si son arrière-grand-père avait réussi, il ne voyait pas ce qui aurait pu l'en empêcher. Il fallait seulement user de persuasion et, surtout, d'être encore plus têtu que ces hommes pris dans un carcan aussi vieux que leur enfance.

Bien que cela était pénible au quotidien, ce n'est pas cela qui l'avait affecté ce jour-là. C'était bien plus les clichés que des journalistes à potin avaient saisies de Simon en compagnie d'un homme, sur son yacht privé. Dès que le bouclé avait commencé à être populaire, Wilhelm était devenu un vrai consommateur de potin. Ainsi donc, on avait appris, sans aucune surprise, que le jeune homme était gay et qu'il ne voulait pas s'en cacher. On avait chercher à savoir s'il y avait quelqu'un dans sa vie. Évidemment, avec le look qu'il avait, tout le monde s'arrachait la moindre minute en sa compagnie. Il avait été vu au bras de dizaines d'hommes depuis son ascension fulgurante, mais jamais pour une très longue période.

Cela aurait été, dans un sens, plus facile de savoir que Simon avait trouvé quelqu'un, mais de le voir batifoler ici et là rendait le prince dingue. Savait-il à quel point il voulait être l'un d'entre eux; être celui qui se rendrait à une cérémonie de remise de prix qu'il gagnerait, assurément, encore cette année ? Il détestait partager l'amour qu'il lui vouait toujours avec des inconnus. Ce jour-là, la manchette avait attiré son attention car on le voyait avec un autre homme, mais pas n'importe lequel. Il s'était amusé à embrasser Harry Styles, chanteur populaire ouvertement pansexuel, sur le pont du yacht où il savait pertinemment qu'on le prendrait en photo sous toutes ses coutures.

Wilhelm se releva péniblement et se servit un verre de scotch à ras bord. Il reprit sa place et but son verre en quelques secondes.

— Tu as mauvaise mine, Wilhelm, lui confia la voix de sa femme.

Elle était arrivée en douce, derrière lui, et lui avait tapoté l'épaule pour lui montrer qu'elle s'en faisait pour lui.

— C'est Simon, craqua le blond alors qu'il enfouit ses mains dans ses cheveux

Tentant d'atténuer sa crise de douleur, il descendit ses mains jusqu'à son cou.

— Je sais ce que tu ressens. Chaque fois que je vois August, j'ai le goût de pleurer. Nous sommes vraiment pathétiques.

— Désolé, Félice, tu dois tellement être à bout de toujours me donner un peu de réconfort.

— On est pareils, toi et moi. On aime désespérément la mauvaise personne. Et pourtant, on y peut rien, parce qu'on sait que la vie aurait pu être autrement.

— Si cela était à refaire, tu m'épouserais à nouveau pour garder Érika ?

— Tu as eu l'idée la plus dure, mais aussi la plus censée que je connaisse. Je le ferais sans hésiter. Elle est toute ma vie.

Wilhelm souleva la tête et regarda intensément sa femme. Elle avait raison. Érika était toute sa vie, à lui aussi. Il allait le lui dire quand la porte du salon s'ouvrit avec fracas.

— PAPA ! Tu es revenu tard, cria une voix cristalline.

— Mon ange ! Tu sais que tu m'as manqué aujourd'hui, demanda le prince en attrapant sa fille qui s'était jetée sur ses genoux, inconsciente de l'état de ses parents.

— À moi aussi, papa, mais tonton August m'a amenée à la fête foraine aujourd'hui pour pas que je te dérange. Il a dit que tu avais beaucoup de travail.

— Vraiment ? C'est gentil de sa part. J'espère que tu l'as remercié.

— Ne t'inquiète pas pour ça, s'amusa une voix qu'il ne connaissait que trop bien.

August venait de s'introduire au salon, à la suite de sa filleule, qu'il gâtait beaucoup trop au goût des parents. Le jeune homme avait suivi à la lettre, la seule demande que Wilhelm lui avait faite. Il devait être un excellent parrain et, jusqu'à présent, il ne l'avait pas déçu. Oh bien sûr, au début, ses actions étaient peu importantes, mais à chaque année qui passait, il se rapprochait d'avantage de la petite. Il ne l'avait jamais avoué, mais Wilhelm savait qu'il était impossible de résister à sa fille. Elle avait la douceur incroyable de Félice et le caractère affectueux et coquin de son oncle décédé avant sa naissance. Ses cheveux bouclés, d'un brun profond et toujours en bataille, étaient un mélange indéniable qui lui venait de ses deux véritables parents.

Le parrain souriait de toutes ses dents alors qu'il prit place, tout près de Félice, sur le canapé qui faisait face au prince.

— Tu viens ma chérie ? Tonton August et papa doivent avoir des conversations de grandes personnes, tenta Félice pour fuir la proximité du lord qui travaillait en étroite collaboration avec son mari.

— Oh ! Non, maman ! On vient à peine de rentrer, couina Érika en s'accrochant au cou de son père.

— Pas de discussion, jeune fille. Tu dois être propre pour entrer à table et à ce que je vois, tu as mangé une pomme de tire.

— C'est pas vrai, répondit la fillette en regardant son parrain pour avoir son aide.

— Cette fois-ci, tu ne peux pas mentir, ma puce. Tu as du rouge jusque dans les cheveux.

— Elle fit des yeux assassins à August avant de soupirer et de suivre sa mère.

Les deux hommes s'amusèrent du comportement impétueux de la jeune fille.

— Tu crois qu'elle va me pardonner de l'avoir poignardée dans le dos, rigola August en se replaçant plus confortablement.

Wilhelm cessa instantanément de sourire. Ce n'était pas la seule qu'il avait poignardée dans le dos. Le prince et son épouse en avait fait les frais depuis les six dernières années.

— Ça devrait aller, finit par répondre le prince en replaçant une mèche de cheveux. Tu veux un scotch ?

— Avec plaisir, j'en aurais grand besoin.

— Moi aussi ! Alors, aussi bien se saouler la gueule comme au bon vieux temps.

— Je suis désolé Wille. Je ne voulais pas te rappeler...

— T'en fais pas, j'ai passé par dessus. J'étais préoccupé par autre chose, répondit-il en tendant le verre à son cousin.

Il remplit son propre verre et pendant qu'August patientait, ce dernier regarda les revues qui jonchaient la table.

— Tu penses encore à lui, demanda enfin le noiraud en voyant qui était le sujet principal des magazines.

— On est pas tous contre la vie des gens du peuple, tu sais, siffla le prince en calant son second verre.

— J'ai fait des efforts depuis les six dernières années. J'avais des raisons d'être aussi en colère contre eux. Je vois un psychologue depuis des années pour essayer de tout comprendre, déclara August en calant son verre, à son tour.

Wilhelm se releva à nouveau et ramena la bouteille sur la table. Il ne savait pas trop quoi répondre à son cousin. Jamais il n'avait parlé de ses séances. Peut-être qu'il essayait réellement de changer, au fond. Il remplit les deux verres et ne répondit pas.

— Je le fais pour Félice. Je ne peux pas supporter la tête qu'elle fait lorsqu'elle me voit et, surtout pas, qu'elle quitte la pièce dès qu'elle en a l'occasion.

Le prince leva son verre bien haut puis le porta à ses lèvres. Cela promettait d'être un apéro des plus difficiles.

OB RoyalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant