Cette longue journée a été courte. Le temps a filé à une allure, que j'ai eu tant de difficultés à suivre, n'étant plus habituée à courir dans tous les sens.
En France, je sortais quasiment plus. Je restais enfermée le plus clair de mon temps, chez moi, à voir les jours passés sans que j'y prenne une importance quelconque. Parfois, il m'était impossible de sortir de mon lit, comme si une force ennemie me maintenait cloîtrée sans que je puisse me débattre. Les obstacles à affronter étaient bien trop durs à surmonter. Tout ce qui m'entourait était devenu si insignifiant à mes yeux que je ne parvenais pas à trouver ce n'est-ce qu'une petite futilité qui aurait pu me redonner goût à la vie.
J'étais seule. C'était une première pour moi. J'ai toujours été entourée auparavant. Je pouvais toujours compter sur quelqu'un. Je n'avais que l'embarra du choix. Mes parents. Mes amis. Mes meilleures copines. Mon fiancé. Et sans crier gare, tout ce petit monde a disparu par enchantement, m'abandonnant dans une situation propice au calvaire infernal, la période la plus difficile à supporter de toute mon existence. Une seule personne a répondu présente, Stella, mon agent.
Notre relation qui était uniquement professionnelle s'est transformée, après des mois de confidences, en une amitié sans faille. Plus qu'une alliée, elle fait désormais partie de ma famille. Je la considère comme la sœur que je n'ai jamais eue. J'ignore ce que je serais devenue si elle n'avait pas été là... J'aurais à coup sûr péri à petit feu dans mon minuscule appartement parisien. Elle ne le sait pas, mais je lui dois la vie.
C'est également grâce à elle que je me retrouve ici, dans ce joli appart du troisième. Sans elle, je n'aurais pas franchi le pas. Elle a su m'exposer les choses, de façon à ce que je comprenne que c'était la meilleure des solutions à envisager. Partir. Voir d'autres horizons. Se déconnecter du passé.
Si, sur le papier, tout ceci était prometteur, je dois avouer que ce n'est pas vraiment le cas en réalité. Mes démons me poursuivent. Mes jambes n'ont pas tenu la distance espérée.
Elles ne répondent même plus à mes demandes. Heureusement, pour moi, qu'elles ne m'ont pas lâché en plein milieu de la rue lorsque je suis descendue faire mes courses. Je me serais mal vue supplier un passant pour qu'il me ramène sur son dos comme un vulgaire sac à patates jusqu'au troisième palier de cet immeuble. J'aurais été la risée de tout un quartier. Youpi ! Ou pire encore, dans les escaliers, quand je portais ma charrette dans les bras. Je ne serais plus là, pour en parler. Horreur !
Pourquoi ai-je cru bêtement, en débarquant dans ce pays, que ma vie allait changer ? Ce n'est pas car je m'installe à plus de mille kilomètres de chez moi que mes problèmes vont disparaître par magie. Ils sont bien trop ancrés dans mon esprit, mon cœur, mon corps, voire même au plus profond de mon âme, qu'il me sera difficile de les déloger de là un jour. Mon unique chance est de parvenir à vivre avec.
Cette démarche s'avère plus compliqué qu'il n'en parait, si ce n'est carrément irréalisable. Je doute d'être de taille à affronter toutes mes douleurs. Mes peurs, mes angoisses, mes gênes, mes fatigues, mes maux, mes détresses ne sont qu'un panel de ce que j'endure au quotidien. Toutes ces craintes et ces souffrances sont telles, qu'il m'est inimaginable qu'elles s'évaporent, ce n'est-ce que quelques heures de mon organisme. Il me faut absolument trouver la force de les apprivoiser. Mon avenir est en jeu.
Avant de quitter Paris, je me suis promise de ne plus regarder en arrière, de ne plus rester enfermée à double tour, de recommencer à vivre. Et c'est ce que je me suis efforcée d'accomplir tout au long de la journée. C'est pour cela qu'à présent je suis à bout de force, mais je me sens plutôt bien pour autant. Je n'ai plus qu'à poursuivre mes efforts. Il le faut !
Je me mets à table, après avoir cuisiné, si on peut appeler un plat de pâtes au fromage de la cuisine, quand mon téléphone se met à retentir dans ma poche arrière.
Cet objet est devenu mon compagnon de fortune depuis mon accident. Il ne me quitte jamais. Mon numéro fétiche est le cent douze. D'ailleurs, il est tout en haut de ma liste de contacts, c'est pour dire à quel point il est important.
Je ne parviens pas à le sortir tellement mon jean est ma seconde peau. Je tire dessus avec vigueur et la seconde d'après mon appareil s'envole dans les airs pour se diriger tout droit sur le tapis moelleux de la salle à manger. C'est bien ma veine !
Je devrais me réjouir, car avec son vol plané, il aurait pu se retrouver en mille morceaux sur les carreaux de ciment de la cuisine, mais je n'y parviens pas. Pourtant, il fonctionne toujours. L'objet de malheur hurle son empressement dans toute l'habitation. Sa tonalité aiguë me donne la migraine. Je m'efforce tout de même de courir vers lui. En réalité, je me pousse à sa rencontre. Mais la tâche se révèle être plus difficile qu'il n'en parait. Mon état de faiblesse apparent endort tous mes membres, me maintenant prisonnière à mon fauteuil. Les mouvements simples, comme tenir une fourchette, me demandent une force surhumaine. Je lutte intérieurement pour avancer jusqu'à mon appareil en détresse, qui s'arrête subitement de crier lorsque j'arrive à proximité.
C'est péniblement que je parviens à le récupérer sous la table à manger, après moult tentatives. J'ai dû me contorsionner dans tous les sens, à presque me déboîter l'épaule gauche. Le terrible engin se met à retentir de nouveau dans mes mains, alors que je tente de reprendre mon souffle. Et quand je daigne répondre, je m'aperçois que c'est mon répondeur qui m'appelle. Je suis dépitée ! Je raccroche sans même écouter le message. Qui que ce soit, il attendra. Je meurs de faim.
Publié le vendredi 2 juin 2023
La suite du chapitre est prévue pour demain.
A demain !
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L'appart du Troisième (nouvelle version)
RomansaQuand l'amour frappe à la porte de Luisa Silva, en la personne de Fabio Monteiro, un homme arrogant, prétentieux et trop sûr de lui, Luisa n'a qu'une idée à l'esprit lui claquer celle-ci au nez. Du moins, c'est ce que sa tête lui dit de faire, mais...