Chapitre 6 Fabio 1/2

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Tous les lundis, vers dix-huit heures, je me retrouve avec une vieille amie du lycée, Claudia, dans un café près du Tage pour discuter.

Cet endroit est propice au dépaysement. Qu'il vente ou qu'il fasse beau, nous nous retrouvons toujours à l'extérieur, sur la belle terrasse en bois donnant sur l'autre rive de la ville, d'où nous pouvons apercevoir par temps dégagé, comme c'est le cas aujourd'hui, le Cristo Rei, l'un des monuments le plus visité du pays, une copie du Christ rédempteur de Rio.

— Tu as perdu ta langue ? me charrie mon amie, alors que mon regard flotte sur les eaux depuis une longue minute, voire deux.

Je n'ai pas envie de converser. Mon esprit est trop encombré pour arriver à y faire le tri. Tout se bouscule. J'ignore par où commencer.

— J'aurais dû annuler. Je n'ai pas la tête à ça.

— A quoi ? m'interroge t-elle.

— A me confier. Pas maintenant !... J'ai l'impression que mon cerveau est sur le point d'exploser. J'ai besoin de temps pour y voir plus clair, débité-je le regard toujours plonger dans le tumulte de l'eau, sans vraiment réfléchir à ce que je dis, d'ailleurs comment le pourrais-je ?

Je suis bien trop confus pour quoi que ce soit, et encore moins pour envisager une conversation sérieuse avec Claudia.

Je ne parviens pas à comprendre, à vrai dire, je ne sais pas ce qui se passe avec moi. J'ai la sensation que toute la routine que je m'infligeais depuis ces deux dernières années vient de voler en éclats. Pourquoi ? Ou plutôt, à cause de qui devrais-je dire.

Je l'ai à peine côtoyé et voilà que je ne sais plus ce que je dis, ce que je fais, ce que je dois penser et ce que je ressens au plus profond de moi. J'en oublie même pour qui ma vie a-t-elle pris un tel tournant. C'est carrément flippant !

J'ai une peur panique qu'elle disparaisse de mon esprit, de la remplacer par autre chose, plus précisément par quelqu'un d'autre. Je ne peux pas l'imaginer. C'est horrible cette impression ! Je ne peux pas l'effacer de ma vie. Je dois trouver un moyen de la garder à jamais dans mon esprit. Il m'est impossible qu'une personne prenne sa place dans mon cœur. Jamais !

Je ne dois pas me défaire de mon but, garder pour toujours la mémoire de ma sœur vivante. Nous ne pouvons pas l'éclipser ainsi de notre existence, comme si elle n'avait jamais existé.

Plus les mois passent, et plus c'est difficile de me souvenir de son sourire, de son regard, de sa silhouette, de sa façon particulière qu'elle avait de m'appeler, du son de sa voix. Je n'arrive plus à l'entendre, à me remémorer son timbre si joyeux et chantant. C'est déroutant !

Je pensais que la douleur irait en s'atténuant au fil des années, mais c'est l'inverse qui se produit. Plus je vis sans elle, et plus je la sens s'éloigner à jamais de moi. C'est affreux ! Je ne sais plus quoi faire pour m'épargner autant de peine. Rien ne semble fonctionner.

Même si cette femme dont je tairais le nom lui ressemble et me fait penser à elle, elle ne pourra pas la remplacer en sein de mon organe qui souffre chaque jour qui file à reculons. Je me l'interdis !

La journée d'aujourd'hui ne fait pas exception, elle s'avère interminable. Je n'en vois pas le bout.

— En effet, tu sembles complètement perdu. Que s'est-il passé ? s'inquiète t-elle de mon comportement inhabituel.

Si en règle générale ce n'est pas la grande forme, il est certain que c'est pire ce soir. J'ai le goût à rien, et encore moins à déblatérer des blagues à deux balles afin d'éviter de répondre à des questions qui me dérangent.

— La routine.

Je refuse d'en discuter avec elle car je connais déjà son avis sur le sujet. Elle va me sortir comme à la coutume : « Tu devrais te remettre en selle ». Mais ce qu'elle néglige en permanence, c'est que je n'ai ni la force, ni le courage pour affronter une nouvelle personne dans un futur proche. Hormis le fait qu'elle pourrait me faire perdre l'essentiel, ma sœur, elle pourrait également disparaître en un claquement de doigts. Et je ne pourrais pas le supporter. J'ai déjà assez donné ! Mon père, puis suivi de quelques mois à peine par ma sœur, sans oublier mon grand-père pour qui j'avais une affection toute particulière, il a cinq ans. C'est bien trop douloureux !

Claudia croit sûrement que c'est de gaieté de cœur que j'ai pris la décision de ne plus m'attacher à qui que ce soit... La vie s'en est chargée pour moi, sans que je n'aie mon mot à dire. C'est ainsi !

— Fabio ! Ne me raconte pas d'histoire ! Je vois bien que quelque chose te tracasse. Si tu ne veux pas en discuter, je peux le comprendre, mais inutile de me mentir.

— Je suis fatigué. Je n'ai pas fermé l'œil de la journée, l'informé-je sans rentrer dans les détails.

A quoi bon reparler de cette fille ?

Mettre ce sujet sur la table, reviendrait à affirmer qu'elle m'obsède et ce n'est absolument pas le cas. Du moins, je n'ai vraiment pas l'envie que cela le devienne. Il faut simplement faire abstraction de ce que je ressens en repensant à ce qui s'est produit entre nous à deux reprises. Oublier ! Voilà, ce que je dois faire. Oublier qu'elle existe. Qu'elle habite au-dessus de ma tête.

— Et à qui dois-tu cette insomnie soudaine ?

Elle ne peut pas lâcher l'affaire ? Elle doit avoir d'autres idées plus intéressantes pour causer avec moi. Sa vie, par exemple ? Elle devrait être bien plus captivante que mes lamentations permanentes.




Publié le dimanche 28 mai 2023 

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L'appart du Troisième (nouvelle version)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant