Chapitre 50 Fabio 1/2

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Les semaines se sont écoulées mais mon chagrin est toujours là. Et pour ne rien arranger, j'ai appris hier que Luisa rentre à Paris. Oui, je lui en veux pour le journal de Joana, mais ce qui m'attriste le plus, c'est qu'elle n'est pas venue s'excuser, ni pour s'expliquer de ne pas avoir tenue sa promesse. J'aurais été prêt à tout lui pardonner, je l'aime tellement, mais à l'évidence, elle, pas.

La douleur que je ressens me comprime les poumons. Je ne pensais pas qu'on pouvait aimé quelqu'un autant. Elle, seule, parvient à combler ce manque insoutenable qui règne au plus profond de moi.

Les minutes, les heures, les jours, les semaines passés loin d'elle m'ont appris que je n'étais pas le même en sa présence. J'avais mal, c'est incontestable, mais ce n'était rien d'infranchissable. Avec elle auprès de moi, je me sentais près à gravir de nouveau des montagnes, escalader des pics, prendre des risques. Croyez moi, je n'en étais plus capable depuis des années, et son déménagement a tout remis en cause. Je me suis recroquevillé pendant des jours chez moi dans l'espoir qu'elle franchisse le pas, mais non. Elle n'est jamais venue. Je ne l'ai pas croisé en trois semaines. Elle est sortie de ma vie, tout comme elle y est entrée, en un courant d'air.

Pourquoi n'a-t-elle pas exaucé mon vœu ? Pourquoi être partie comme une voleuse ? Elle m'avait promis !

Pourquoi toutes les femmes que je côtoie finissent-elles toutes par filer à l'anglaise ? Ma sœur, Livia, et maintenant Luisa.

J'aurais du m'en tenir à la promesse que je m'étais faite il y a quelques mois en arrière, ne plus m'attacher à quelqu'un, car la perte est inhumaine, ignoble. Cependant, l'amour est un sentiment qui ne se contrôle pas. On le ressent depuis ses entrailles, un point c'est tout.

On devrait nous apprendre lorsque l'on est enfant à gérer ces situations, ces douleurs, ces manques... et tout ce qui va avec. Mais non ! On se sent tout bonnement démuni face à ce mal qui nous ronge au plus profond de nous, nous empêchant d'avancer.

J'allais mieux quand elle n'était pas très loin. Depuis son départ, je m'engouffre dans un puit sans fond. Je ne parviens pas à remonter à la surface. Elle a pris avec elle cette partie de moi qui commençait de nouveau à battre. Comment se reconstruire dans ces circonstances ?

Pourtant il va bien falloir. J'ai fait une promesse, pas plus tard qu'hier, à Joana. Et je compte bien la tenir, quoi qu'il m'en coûte.

Je n'ai pas tout de suite ouvert le journal de ma sœur. Plusieurs jours se sont écoulés avant que je ne parvienne à trouver le courage de le faire.

La première phrase inscrite sur son carnet est gravée dans ma tête : « Je vais mourir ». Ces mots résonnent en moi dès que j'ose fermer les yeux, tout comme les derniers qu'elle a noté tout en bas de la dernière page : « Je continuerai à vivre à travers le regard de mon frère, il ne fait aucun doute ». Inutile de vous dire que j'ai pleuré de la première ligne jusqu'au point final. J'aurais aimé qu'elle poursuive, j'aurais passé plus de temps en sa compagnie.

A travers ma lecture, je l'imaginais me dire tous les mots écrits dans ce petit calepin. Elle m'a annoncé sa mort imminente, son cancer au stade quatre, sa volonté de profiter de chaque instant avec les siens, son amour inconditionnel pour l'aventure et pour son homme, sa fierté de m'avoir eu en tant que frère, la reconnaissance qu'elle avait envers notre mère, et son regret de lui faire endurer une telle épreuve, son combat qu'elle savait dur et sans issue favorable, ses douleurs au quotidien, son secret qu'elle gardait pour elle afin de ne pas inquiéter les gens qu'elle aimaient plus que tout, et son désir de continuer à vivre à travers moi, car elle croyait au plus profond d'elle-même que j'avais la force et la capacité pour le faire, pour que personne ne l'oublie.

Ce journal était sa façon de nous dire au revoir, à bientôt. S'il y a un autre monde après la vie sur terre, alors je suis persuadée qu'elle sera là-bas à m'attendre. On se retrouvera !

Après la lecture complète, je me suis senti délesté d'un poids, j'avais enfin pu dire adieu à ma sœur, ce que je n'ai jamais pu faire auparavant. Il est horrible de perdre quelqu'un sans pouvoir lui dire à quel point on l'aime. Je suis rassuré de savoir qu'elle connaissait mes sentiments à son égard. Elle n'a pas arrêté de le répéter dans ses nombreuses lignes à mon effigie. J'ai regretté de ne pas avoir trouver son journal bien plus tôt, avant de me consoler en me disant que c'est ainsi et que je n'y peux rien.

Bien évidemment je lui en veux de nous avoir caché sa maladie. J'aurais voulu être plus présent pour elle, passer les derniers mois qui lui restaient à vivre auprès d'elle, ce que j'ai fait, sans le savoir. Mais... j'aurais apprécié consacrer plus de mon temps libre à ses côtés, à se balader, à nous disputer, à sortir, à nous amuser, à nous chamailler comme des gamins. J'aurais tout donné pour profiter d'elle au maximum.

Mais je pense que ce qui me gêne le plus aujourd'hui, après tous ses mois passés à ressasser, c'est de ne pas avoir eu le temps de me faire à l'idée qu'elle allait prochainement nous quitter. La fatalité nous ait tombé dessus sans que nous ne la voyions venir. On peut me traiter d'égoïste ? Je le suis peut-être, voire sûrement. Toutefois, je suis convaincue que savoir la vérité m'aurait aidé à mieux gérer la douleur lancinante qui m'a submergé à l'annonce de son décès.

Elle croyait bien faire. Je ne lui jette pas la pierre. De tout façon, on ne peut plus revenir en arrière. Je dois apprendre dorénavant à vivre sans elle, et faire en sorte qu'elle continue à exister dans nos cœurs.

Elle me manque, vous ne pouvez pas l'imaginer. J'aurais tellement besoin d'elle à mes côtés, de ses conseils, de sa présence, de son sourire. Elle était si parfaite. Alors que moi, j'ai toujours fait les choses à l'envers, encore aujourd'hui. Elle m'aurait à coup sûr aidé à comprendre Luisa. Sa bienveillance est partie pour toujours. Comment vais-je m'en sortir ? C'était elle, la guerrière de la famille. Je m'aperçois qu'elle était mon pilier, je puisais ma force en elle. A présent, je ne peux compter que sur moi.

Comment a-t-elle fait pour vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête ? Ça doit être affreux de vivre en sachant que ce sont nos dernières heures sur terre, et en plus, sans personne à qui se confier ou parler. Son seul confident était son journal. Elle y racontait tout ce qu'elle aurait aimé dire à tous les gens qui l'entouraient. A aucun moment, elle n'exprime ses sentiments, ses ressentis, ses angoisses vis-à-vis de sa maladie ou de la mort imminente. Dans son carnet, elle reste digne et forte. Il ne peint uniquement la Joana qu'elle a toujours été, une femme courageuse à toutes épreuves. Je l'aime tellement !

Ah ! Il y a aussi un petit mot pour tous les gens qu'elle à côtoyer de près ou de loin, elle ne voulait absolument pas qu'on la pleure, du moins un peu, mais pas éternellement, elle désirait qu'on vive à cent à l'heure, tout comme elle l'aurait fait.

Ce que je me suis exercé à faire à la perfection, vous le conviendrez ? Quelle ironie du sort !

Néanmoins, j'ai décidé et promis à ma jumelle de reprendre ma vie en main. Le challenge s'annonce difficile mais pas insurmontable. Il est clair qu'il serait plus facile si j'avais des épaules sur lesquelles me reposer de temps en temps. Cependant, Luisa semble avoir pris sa décision. Elle s'en va !

Donc, c'est seul, que je vais devoir affronter les obstacles à venir. Je suis sur le chemin de la guérison, je ne vais pas faire marche arrière. Il va sûrement m'en falloir du temps... Combien ? Je l'ignore. En tout cas, je vais faire de mon mieux pour que ma sœurette d'où qu'elle soit, soit fière de moi, autant que je l'ai été d'elle.

Joana était une femme remarquable. Une sœur plus que merveilleuse. Et une amie pour la vie. Voilà, comment était ma jumelle, une personne qui méritait d'être connue.

À moi de poursuivre son chemin avec ou sans celle que j'aime. Je dois être fort, tout comme elle l'a été jusqu'à sa mort. 




Publié le vendredi 19 avril 2024

Qu'attendez vous de Fabio ? 

Nous arrivons à la fin de ce tome, une réconciliation est-elle possible ? 

Vous le serez prochainement. 

Bonne journée ! 

L'appart du Troisième (nouvelle version)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant