Le Dernier Ange

Chapitre 8 - partie 1/4

Un regard à James, un signe de tête de sa part.

— Nous comptions faire une réunion à ce sujet demain en début d'après-midi. Pour celles et ceux qui songent à rester, cela vous convient-il ?

Aucune objection.

— Je pense donc que nous pouvons tous aller nous coucher. Pour certains, une lourde décision reste à prendre. Les autres, ne trainez pas. À partir de demain, nos vacances se terminent et les journées seront chargées. Bonne nuit à tous.

***

— Amma ? Il ressemblait vraiment à ça, Sinan ? Je veux dire, il me ressemblait autant ?

— Visiblement oui, ma chérie. Je ne pense pas que ce ne soit dû qu'au lien de parenté. Certes il doit jouer un rôle, mais je pense que c'est surtout parce que tu es son héritière et que ce sont la même force et les mêmes pouvoirs qui coulaient autrefois dans ses veines, qui cheminent aujourd'hui dans les tiennes. Le même pouvoir, le même visage, le même espoir. Ça parait logique, quand on y réfléchit, tu ne trouves pas ?

Une pause, pensive, le temps d'un soupir.

— Vas te coucher maintenant, ma Réalta. Ton emploi du temps sera plus chargé que celui des autres.

***

La chambre des garçons à côté de la notre s'est enfin remplie. Si d'habitude Manoa, Louve et moi discutons, ce soir, aucune de nous n'en a ni la force ni l'envie. Nous préférons rester avec nos pensées. J'étais déjà au courant d'une partie mais entendre toute l'histoire... Personne n'en ressort indifférent.

Et à vrai dire, j'ai peur.

Peur de la suite, peur de découvrir des pouvoirs que je ne connais pas et que je ne maîtrise pas.
Peur de la pression qui sera indéniablement mise sur mes épaules, de toutes les responsabilités qui m'attendent si un nouvel Effondrement se prépare.
Peur de me sentir coupable des morts qui arriveront inévitablement alors que je n'y pourrai rien.
Peur.

Mais hâte, aussi.
Hâte de découvrir ce dont je suis capable.
Hâte de révéler qui je suis, de découvrir et prendre conscience de mon héritage.
Hâte d'entrer dans la vie pour laquelle je suis née.

Peur et hâte. Si différentes et pourtant si complètes l'une pour l'autre.
Deux opposés qui prennent leur source aux mêmes endroits, qui existent pour et à cause des mêmes raisons.

Complètes.
Peur et hâte.
Arrêt et mouvement.
Hâte et peur.
Action et inaction.
Envie et mépris.
Si parfaitement complètes et si imparfaitement identiques.

Peur et hâte.
Deux chemins pour une unique Voie.

***

Le lendemain, la majorité des discussions se tournent vers le choix qui est à prendre. Comme je m'y attends, la presque totalité des Grandes Puissances a suivi la décision du Conseil et décide pour le moment de rester afin de voir comment la situation va évoluer.

Il ne faut pas attendre longtemps pour voir cette évolution. Pendant le repas, deux téléphones sonnent en même temps. Deux téléphones appartenant à deux loups-garous faisant partie de la même meute.

Quelques secondes seulement après avoir décroché, les deux interlocuteurs se lèvent presque simultanément, se pressent devant la télévision posée dans un coin de la salle et l'allument. Aliana et les autres membres du Conseil s'approchent.

Sur l'écran, un reportage dans lequel on nous montre un immeuble en ruine, les flammes à peine éteintes.

Les personnes devant me bouchent la vue, mais j'entends tout de même la voix du reporter :

« Nous sommes face à une scène de destruction et de chaos indescriptibles. Un immeuble résidentiel de plusieurs niveaux a explosé ce matin, entraînant l'effondrement des deux immeubles adjacents. Les flammes ravagent toujours  ce qu'il reste des étages supérieurs de l'immeuble, projetant des volutes de fumée noire dans le ciel. Les équipes d'urgence s'affairent déjà sur les lieux, bravant les flammes pour sauver les survivants et contenir l'incendie. Les recherches se déroulent encore sous les décombres.

On dénombre pour le moment une dizaine de morts et une vingtaine de blessés, dont dix sont en état d'urgence absolue. Les témoignages sont confus, certains évoquant une forte odeur de gaz, d'autres affirmant qu'il n'y en avait pas. Une enquête est en cours afin de déterminer la cause de l'incident. L'éventualité d'une origine terroriste n'est pour le moment pas écartée.

Nous souhaitons nos plus sincères condoléances aux familles des victimes. Courage à toutes les personnes mobilisées et aux proches...»

Le son est recouvert par les voix des deux loups-garous toujours au téléphone, prenant des nouvelles de leurs proches :

— Dis moi que tu vas bien ! Et les enfants ? Comment vont les enfants ?!... D'accord. Bon... Pour le moment, prend toute la meute avec toi et allez vous mettre en sécurité.

— Qui a été touché ?... Oh c'est pas vrai... Qui... qui a fait ça ?... Vraiment ?!... Pourquoi tu ne m'as pas prévenu plus tôt ! Oh, c'est pas vrai ! Envoie-le moi en photo. Je... je dois prévenir la Présidente. Je te rappelle plus tard. Tiens moi au courant de tout ce qui se passe. Je veux au moins une personne pour surveiller chaque blessé. Je raccroche... Oui, à très vite.

Tout le monde attend le compte rendu de ce qu'il s'est passé. C'est le chef de meute, le second magique, qui nous l'explique.

— L'immeuble qui a été touché... c'est celui dans lequel vivait notre meute. Huit des onze décès... sont des membres de nos familles. Neuf autres sont toujours en intervention chirurgicale entre la vie et la mort. On ne sait pas s'ils s'en sortiront. Deux enfants ont été touchés, mais ils s'en sortiront d'après les médecins. Puisque cela s'est passé en fin de matinée, la plupart des membres de la meute avaient quitté l'immeuble.

— Je suis vraiment désolée pour tous les morts et les blessés. Cela aurait pu être bien plus grave, je suis malgré tout soulagée. Sait-on à quoi est due l'explosion ? demande Aliana.

— Ils ne savent pas vraiment. Mais ils ont tous reçu une lettre hier. La seule chose qu'elle contenait, c'est ça, dit-il en montrant une photo sur son téléphone.

Le téléphone circule au travers de la foule et me parvient. L'image qui y est affichée est celle d'une feuille avec un simple symbole dessiné dessus :

𐂥

— C'est bien un idéogramme de l'ancienne langue magique, non ? demande Nilaja par-dessus mon épaule. Il me dit un truc.

— C'était le symbole qui était utilisé pendant le soulèvement de Anton par son camp, lui répond Jae. Son emblème, on peut dire. C'est maintenant l'idéogramme qui signifie : rébellion, guerre.

— Ils n'y avaient pas prêté attention, reprend le chef de meute, mais voici ce qu'il s'est passé aujourd'hui...

— Je vais vous laisser rentrer chez vous pour vous occuper de vos proches. Je pense qu'il est temps de discuter de la suite. J'aimerai juste que vous restiez jusqu'à la fin de la réunion.

— Oui, bien sûr. Nous irons dès qu'elle sera terminée.

***