Chapitre 12 - partie 2/2

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— J'ai eu si peur, Gwen. Qu'est-ce qui s'est passé ? me demande-t-elle.

— Non, je gémis. Je ne veux pas en parler pour le moment.

Je recommence à trembler.

— D'accord, d'accord. Viens t'asseoir. On va prendre le temps de se calmer et on parlera un peu plus tard.

Décrétant, quelques minutes plus tard, qu'il est temps de rentrer ; Estheban me propose de me porter. Nous nous sommes éloignés de quelques pas lorsque nous entendons un loup hurler par trois fois : le message d'Aliana. Se transformant lui aussi en loup, Estheban se place devant moi, comme pour me demander de monter sur son dos. Arrivés au château avant les autres, nous montons dans ma chambre pour parler.

— Vous voulez que je vous laisse toutes les deux ?

— Non, reste s'il-te-plait.

Nous répondons toutes les deux en même temps alors que je m'accroche à la veste d'Estheban. Ma grand-mère me lance un bref regard interrogateur.

— La conversation que nous allons avoir semble te concerner directement. Quelle est votre relation, à tous les deux, précisément ? Il semble y avoir un lien entre vous, mais personne n'a su ou voulu m'en dire plus.

Je lève le regard vers l'homme qui se tient à mes côtés et il hoche la tête en signe d'assentiment. Je raconte donc à ma grand-mère comment je l'ai soigné, naturellement, et comment, ensuite, il venait vers moi à chaque fois que quelque chose commençait à aller mal. Puis Estheban raconte sa version des faits et comment, de temps à autre, il avait senti dans un coin de son esprit un sentiment désagréable correspondant à l'état dans lequel je me trouvais au même moment et qu'il avait à chaque fois ressenti le besoin de la calmer. Puis pour finir, comment cette nuit il s'est réveillé par deux fois en sursaut, paniqué. Je termine notre récit en décrivant mes rêves ainsi que tout ce qui s'est passé, depuis le moment où je suis sortie jusqu'à leur arrivée.

Lorsque je me tais, Aliana regarde le sol sans parler, songeuse. Au bout de quelques minutes, elle prend la parole, brisant le silence devenu pesant.

— C'est étrange. Je n'ai presque jamais entendu parler d'un tel lien. Il va falloir que je me renseigne à ce propos.

Avant de quitter la chambre, ma grand-mère me dit qu'elle cherchera des informations dans les livres de sa bibliothèque personnelle (et plus ou moins clandestine) ; là où un grand nombre de livres censurés par notre communauté ont été sauvés de justesse et conservés. Elle me propose également d'être dispensée de cours pour le reste de la journée. Proposition acceptée avec plus de facilité encore lorsque Estheban demande à rester avec moi pour me surveiller.

Alors qu'il est assis sur le lit le plus proche du mien, celui de Louve, nous discutons de sa vie au Kenya et de la mienne pendant un petit moment puis, rompue de fatigue, je m'endors. J'aurais aimé pouvoir attendre pour voir mes amis mais ils ont dû retourner en cours et je ne tiens plus éveillée.

Mon sommeil est calme, tranquillisé par l'esprit paisible au contact du mien.

Un sommeil profond et sans rêves.

À mon réveil, je sens toujours l'esprit d'Estheban en contact avec le mien mais je suis seule dans la pièce. À peine cette observation traverse mon esprit que la porte donnant sur le couloir s'ouvre en laissant apparaître seulement la tête de mon veilleur. Il sourit et entre en refermant précautionneusement derrière lui.

— Alors, comment te sens-tu ? demande-t-il en s'asseyant sur le lit qu'il a quitté quelques heures plus tôt.

— Bien mieux. Quelle heure est-il ?

— Presque dix-huit heures. Il y a quelques personnes qui voudraient prendre directement de tes nouvelles. Je les retiens depuis que tu t'es endormie et pour la plupart, ils deviennent vraiment difficiles à contenir. Tu veux les voir ?

— Oui, vas-y, s'il te plait. Fais les entrer.

« Si vous faites trop de bruit, je vous préviens : vous ressortez directement. » Le sérieux du ton d'Estheban à travers la porte me fait sourire.

Lorsque mes amis entrent en file indienne et s'entassent sur les lits après le départ d'Estheban, je les rassure à propos de mon état. Nous décidons d'aller ranger la bibliothèque. Je ne leur dit rien à propos de mes rêves. Pas encore. Je préfère leur sortir une excuse bidon. Je n'ai pas envie de replonger dedans de si tôt.

Une fois dans la grande bibliothèque, Nicolaï insiste pour que les deux autres garçons l'aident à ranger l'une des salles. Je comptais sur cette occasion pour reparler d'hier soir avec lui et le rassurer, de peur qu'il ne se fasse des idées quant à ma disparition ; mais je ne peux finalement pas. La discussion que je surprend entre les trois me décide finalement à leur en parler.

— Mais c'est sûr que j'ai merdé. Les gars, elle a fugué toute la matinée, en partant pendant que tout le monde dormait encore, et on en a pas parlé ! Elle a trouvé une excuse bidon et elle évite le sujet ! Je viens vraiment de me faire larguer avant même qu'on soit sortis ensemble ?

— Mais non, je suis sûr que non, veut le rassurer Nilaja.

— Ha oui ? Et comment tu le sais ?

— Heu...

— Voilà, t'en sais rien. Je suis foutu les gars.

Si je ne veux pas gâcher mon début de relation avec Nicolaï, je vais devoir leur parler de mes cauchemars. Alors qu'on allait éteindre les lumières et repartir dans nos chambres, je me lance.

— Attendez, tant qu'on est là et que c'est ici qu'on parle des choses les plus importantes, il faut que je vous dise pourquoi je n'étais pas là quand vous vous êtes réveillés.

Je leur raconte donc tout : du moment où je me suis endormie hier soir, au moment où je suis revenue ici, au château. Je leur parle également des frissons que j'ai encore régulièrement à cause de ces songes qui continuent de me tourmenter. Amusée de voir la lueur de soulagement dans les yeux de Nicolaï, mon sourire devient plus forcé quelques secondes plus tard. Dès lors que je reçois tout un tas de remarques réconfortantes et de regards désolés de ceux qui vous prennent tout à coup comme une pauvre petite chose qu'il faut surveiller de près et protéger.

Ces regards ne traduisent pour moi qu'une seule chose : de la pitié. C'est ce que je déteste le plus dans les réactions des autres lorsqu'on leur annonce une mauvaise nouvelle. Mais je relativise en me disant que c'est la façon qu'ils ont de me montrer qu'ils tiennent à moi.

***

Après le repas, ma grand-mère me prend à part pour me demander de venir dans son bureau, l'air grave. Avec Estheban. Nous attendons ce dernier en silence, pendant de longues minutes. De mon côté, la tension et l'anxiété sont palpables. Qu'a-t-elle découvert?

Le Dernier AngeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant