Chapitre 2 - partie 3/3

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J'ai réussi à entendre leurs paroles !
Comment est-ce possible ?

Peu importe, leur discussion promet d'être plus qu'intéressante. Je me reconcentre sur les voix et sur la sensation de me trouver juste à côté d'elles. Et ça y est, j'entends à nouveau !

— Comment peux-tu proposer une chose pareille ? se retient de crier la voix qui m'est inconnue tout en tentant de retenir son exclamation.

— C'est la seule solution. Si elle y retourne à la rentrée, elle pourrait très bien recommencer, ou faire pire. Je ne tiens pas à ce que ma fille continue de se faire frapper et harceler au lycée et je ferai tout ce que je peux pour que ça ne recommence jamais.

— D'accord pour qu'elle y aille elle, mais pas mes fils. Si vous voulez mon avis, c'est une décision bien trop excessive pour ce qui s'est passé. Certes cet événement est pénible à vivre pour vous, mais je ne comprends pas pourquoi vous m'avez appelée si tard alors que, je suis désolée de le dire comme ça, ça ne me concerne pas, réplique la femme en se levant et prenant ses affaires.

— Détrompe-toi, Sandrine, la retient la voix de ma grand-mère, ça te concerne tout autant que nous. À vrai dire, je pense que ça concerne toute la communauté magique. Je ne sais pas si je vais pouvoir tout t'expliquer ce soir mais je vais au moins essayer de te donner les informations les plus importantes. Depuis deux millénaires, et environ tous les cent ans, une femme dans notre lignée a une capacité qui se rapporte à celle des médiums. C'est notamment mon cas et cette capacité nous rend garantes d'un seul et unique message. Depuis que ce pouvoir est apparu, c'est toujours le même qui revient et il prend la forme d'une prophétie.

— Et que dit-elle ?

— Elle dit ceci :

Sept mille ans après la chute du Précurseur,
L'Héritier sera doté d'un pouvoir inné
Pouvant aisément le faire basculer
Du mauvais côté.
Lorsque viendra le moment,
Le sort des deux mondes résidera
En son habilité à discerner le bien
Pour maîtriser le mal.
Tout comme il ne peut y avoir de nuit sans jour,
On ne peut restaurer l'harmonie
Sans avoir déjà ressenti le chaos.
Sa capacité à accepter sa part d'ombre
Lui offrira la clé, libérant le pouvoir
Qui leur permettra de triompher.

— C'est très flou.

— Je ne sais pas pour les autres, mais dans mes rêves, elle s'accompagne de flashs. Certains concernent Sinan et d'autres, l'Héritier en question ou encore des images de guerre et de combats que j'interprète comme étant à venir.

— Pourquoi Sinan ? Qui est l'Héritier ?

— Pour la première question, tu en auras la réponse d'ici quelques jours, lorsque nous aurons passé l'appel aux Grandes Puissances et que tout le monde sera réuni. Pour la deuxième, en revanche, je peux te répondre. Au début, les images de cet Héritier étaient très floues et je ne pouvais rien distinguer. Mais depuis une vingtaine d'années, je les vois claires comme de l'eau de roche. Le visage qui apparaît, c'est celui de Gwenaëlle.

— Qu'est-ce que ça signifie ? Ne me dis pas que... Le sait-elle ?

— Non ! se récrie ma mère. J'ai fait tout mon possible pour la tenir éloignée de ça ! Ce sont de sombres paroles, je ne veux pas que ma fille souffre à cause d'un destin qui lui a été imposé bien avant sa naissance.

La tête commence à me tourner. Le souffle bloqué dans ma gorge me ramène en haut des escaliers, suffocante.

Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

Les questions tournent et se bousculent dans ma tête, à tel point que je les sens frapper contre mon crâne, sans pouvoir les distinguer ou les formuler. Incapable de me concentrer pour réécouter la conversation, je me lève.

Sans réfléchir à mes gestes, je retourne instinctivement dans ma chambre, enlève mes cataplasmes, enfile un jogging, un pull et des chaussettes. M'asseyant deux minutes sur mon lit, je retrouve mes esprits, me demandant pourquoi je me suis habillée.

La réponse me revient en tête : pariant sur le fait que ma grand-mère aura besoin de réfléchir à toute cette conversation avant d'aller dormir, je m'apprêtais à aller la rejoindre pour obtenir des réponses aux questions qui, bientôt de plus en plus nombreuses, se bousculent d'ores et déjà dans ma tête. Je prends à la main la vieille paire de baskets qui reste cachée toute l'année dans mon armoire et sors une seconde fois de ma chambre sur la pointe des pieds.

Tout en slalomant entre les planches de bois pouvant trahir mon escapade nocturne, passant silencieusement au-dessus des trois silhouettes, je rejoins les escaliers menant à la mezzanine du troisième étage.

Arrivée en haut, je mets mes chaussures, ouvre la fenêtre située juste au-dessus de mes épaules et monte sur la commode. Je me dépêche de sortir sur le toît et de refermer ma porte de sortie, en pensant à la bloquer avec un bout de carton pour ne pas qu'elle se bloque. Histoire de pouvoir rentrer incognito si ma grand-mère n'est pas au rendez-vous.

Me promenant sur ces tuiles depuis mes cinq ans, je suis plus qu'habituée à la pente et aux distances. Je pourrais tout aussi bien me rendre au bout du toît au pas de course et sauter les yeux fermés sur le sapin situé à deux mètres, mais je préfère prendre des précautions en les gardant ouverts : mes os ont tout juste fini leur guérison.

Atterrissant souplement sur une grosse branche, je commence la descente. Je me faufile, glisse, me laisse tomber pour arriver plus rapidement en bas et touche le sol seulement une poignée de secondes plus tard.

Avant de rejoindre l'endroit auquel j'espère retrouver ma grand-mère, je décide de faire un petit tour dans la forêt. Tout est calme et silencieux, endormi. J'apprécie la facilité avec laquelle mes muscles et mes articulations jouissent librement et sans mal de leurs mouvements. L'air frais et la vitesse me font me sentir en vie, plus qu'à n'importe quel moment de ces derniers jours. Le temps d'un instant, toutes les questions quittent mon esprit.

Toujours trop rapidement, je me retrouve assise, les genoux contre ma poitrine et mes bras les embrassant, en attendant ma grand-mère sur la souche où nous avons passé tant de temps à jouer, discuter, regarder les étoiles par le trou dans les sapins juste au-dessus de nous...

C'est là que, lors de sombres soirs, je m'étais réfugiée, cherchant du réconfort dans mes nombreux souvenirs avec ma grand-mère.

C'est là qu'elle venait chaque fois, comme si elle avait senti ma détresse et que je retournais ensuite me coucher, le cœur réconforté et l'esprit paisible suite à ses douces paroles.

C'est à cet endroit que les souvenirs les plus heureux de mon enfance sont et resteront gravés. Ici, et dans mon cœur.

Je n'ai pas à attendre très longtemps ou alors, plongée dans les tréfonds de ma mémoire, je n'ai pas vu le temps passer. Toujours est-il que, tel que je l'avais prévu, Aliana sort par la baie vitrée et se dirige vers le sous-bois, vers la souche, notre souche.

Mes yeux brillent de curiosité.
Je vais enfin obtenir les réponses que j'attends.

Le Dernier AngeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant