Chapitre 1 - partie 1/2

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Aujourd'hui, c'est le quinzième jour du septième mois de mon année de terminale au lycée. Depuis que je suis arrivée dans cette nouvelle école, ou devrais-je dire depuis que je me suis jetée dans la gueule du loup, je compte chaque lever de soleil. Chaque fois qu'il éclaire le ciel et franchit le sommet des montagnes, je sais que je me rapproche de la fin. Aujourd'hui, donc, et comme tous les jours depuis mon entrée en seconde, je me prépare pour aller en cours. Je choisis tout le temps les vêtements qu'il faut pour ne pas me faire remarquer.

Ne pas se faire remarquer.
Jamais.

C'est le prix à payer pour qu'une jeune sorcière telle que moi puisse étudier dans un lycée entièrement peuplé de normaux.

Le problème en voulant ne pas attirer l'attention, c'est qu'on attire celle de Maywenn et de sa bande. Maywenn, ou May pour les intimes, c'est une vampire dont la famille habitait en Russie depuis, d'après ses dires, de nombreuses générations. Je suis évidemment la seule dans ce lycée à avoir remarqué qu'elle est un vampire. Ce dont vous pouvez être sûrs avec Maywenn, c'est qu'elle n'a pas dû recevoir les mêmes instructions que moi en terme de discrétion.

Dès lors que ma mère a pressenti que mes pouvoirs allaient sûrement devenir aussi puissants que ceux d'Aliana, ma grand-mère, elle a commencé à restreindre leur utilisation au sein du cocon familial. Aussi, je n'ai jamais vu ma mère, Ambre, utiliser ses pouvoirs devant moi et je n'ai jamais non plus appris à les développer.

Certes, je sais ce que nous sommes.
Moi, Gwenaëlle Wilson, ainsi que ma famille, nous sommes des sorcières.

Je sais ce que nous sommes et je sais que mes pouvoirs existent. Je les sens pulser en moi, parfois. Mais souvent, et de plus en plus fréquemment, je doute. Lorsque la bande de Maywenn concentre son attention malsaine vers moi, il m'arrive parfois de sentir une vague de colère et de puissance monter en moi. Pourtant, dès lors que j'envisage de répliquer, toute trace de pouvoir disparaît, comme si l'idée même de me défendre anéantissait toute capacité de résistance. C'est dans ces moments là que les incertitudes font surface.

Revenons à aujourd'hui. C'est le dernier jour avant les vacances de printemps et dans une demi-heure, je devrai être en cours. Honnêtement, je préfèrerais rester dans notre domaine, proche des animaux qui y vivent. Mais bon, je dois aller à ce fichu dernier jour de lycée car je voudrais recevoir mon bulletin, même si je sais qu'il ne contient pas des notes aussi hautes que celles dont je suis capable. C'est toujours la même chanson : ne pas se faire remarquer. Pas même par de bons résultats scolaires.

— Gwenaëlle.

Elle m'appelle par mon prénom en entier. Ça ne va pas être agréable à entendre.

— Quand est-ce que tu comptes aller en cours ? Je suis toujours obligée de passer derrière toi pour rattraper tes conneries !

Ma mère. Sans cesse sur les nerfs, toujours en train de me crier dessus sans aucune raison, constamment occupée à me désigner coupable pour chaque chose allant de travers.

— C'est bon. Arrête de me crier dessus dès le matin. Ne fais pas comme si ma vie t'intéressait.

D'autant plus que je ne serai pas en retard. Et qu'elle ne repasse jamais, au grand jamais derrière moi. Enfin bon, maintenant c'est vraiment l'heure d'y aller ou je finirai vraiment par être en retard. D'autre part, donner raison à Ambre est assurément la dernière chose que je souhaite.

Cours dans dix minutes. J'étudie dans un petit lycée à une vingtaine de minutes de route en voiture. Ce qui est pratique, c'est que je détiens le don de super-vitesse. Oui, comme les vampires. Comme Maywenn. Du coup, je fais le trajet en exactement sept minutes et treize secondes. Suis-je fière de moi ? Bien sûr. Alors je mets mes chaussures totalement neuves qui n'en ont pas du tout l'air, enfile mon manteau on ne peut plus banal, mon Eastpack noir et je sors.

Je prends le temps de m'échauffer et je me mets à courir, de plus en plus vite. C'est si bon de sentir l'air frais du matin fouetter son visage, parcourir ses cheveux qui volent au vent en les séchant après une longue douche très chaude. Sentir son corps bouger à une allure surhumaine et transpercer les nappes de brouillard qui lèchent les flancs des montagnes, sauter avec un tel élan que l'on pense voler au-dessus d'une crevasse et atterrir avec la souplesse d'un chat de l'autre côté. Puis repartir, encore et toujours pour les cinq dernières minutes de la matinée durant lesquelles je me sens totalement libre d'être moi-même et d'agir comme bon me semble.

Trop vite.
Beaucoup trop vite.

J'arrive déjà au lycée et voilà que Maywenn m'attend de pied ferme. Il est à peine sept heures cinquante sept, la première sonnerie retentit m'enjoignant de gagner ma salle de cours et j'ai tout juste le temps d'y aller.

En passant devant la fameuse bande, j'entends des ricanements. Évidemment, aucun de ses membres n'est pressé d'aller en cours de français. Du moins, pas tant que notre professeur cinquantenaire, barbu et ventripotent ne ramène pas Nicolaï Gabrielli, son beau fils de dix-neuf ans vraiment canon mais tout aussi inaccessible.

Il n'était resté qu'un certain nombre de semaines, une poignée de mois tout au plus, mais j'avais tout de suite remarqué son appartenance aux magiques. Et lui avait apparemment remarqué la mienne, puisqu'il me souriait de temps en temps comme si nous partagions un secret. Ce qui était le cas même si je ne l'ai pas revu depuis qu'il est parti. Il était mi-sorcier, mi-fae - terme que nous, magiques, utilisons pour désigner les hommes fées. C'était également le seul à s'être rendu compte des sourires narquois et des regards venimeux que me lançait May.

Ce cours ne change pas de tous les autres.

Deux heures insupportables à passer avec Maywenn à mon niveau, assise juste de l'autre côté de l'allée centrale. Ces cinquante petits centimètres me protégeant de l'incarnation lycéenne du diable sont, j'en ai pleinement conscience, un bien piètre rempart.

Deux heures de cours durant lesquelles je n'écoute que d'une oreille, me concentrant uniquement sur le fait d'empêcher tant bien que mal mes mains de trembler en me focalisant sur le souvenir réconfortant du vent frais fouettant mon visage. Cette douce sensation de fraîcheur que je ressentais il y a de cela déjà une heure est la seule chose qui m'empêche de craquer.

Au début de l'année, je pouvais m'accrocher aux regards discrets et pourtant très encourageants que me glissait Nicolaï. Sa présence me réconfortait autant que nos discussions entre les cours et m'aidait à me sentir plus forte face à Maywenn. Mais depuis son départ, je me retrouve plus seule que jamais pour endurer ces journées. Cette force est aujourd'hui un bien vague vestige d'une puissance envolée.

Au même titre que les sentiments que j'avais développés à son égard.

Après la première heure, toutes les autres s'enchaînent avec la même routine : ricanements, boules de papier, chuchotements, regards mauvais, coups d'épaules, croches-pieds... Jusqu'à la pause du midi.

Manger seule dans un coin pour ne pas attirer l'attention, ressortir le plus vite possible du réfectoire car la bande n'est jamais bien loin, très discrète mais tout de même trop présente. Puis s'isoler dans un coin pour prendre le temps de souffler et de rassembler le plus de courage possible pour endurer l'après-midi. Il est quatorze heures et je finis à dix-sept heures. Trois longues heures et je serai en vacances. Je suis obligée de me raccrocher à cela car le vent sur mon visage a disparu depuis bien longtemps déjà.

Lorsque la sonnerie retentit enfin, je sors du cours d'histoire de Mme Callion le plus rapidement possible. Je vais enfin retrouver ma forêt et l'air frais de cette fin d'après-midi. C'est sans compter sur une vampire très discrète et tout aussi rapide.

Le Dernier AngeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant