Chapitre 1 - partie 2/2

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Maywenn m'attrappe par le bras à l'orée de la forêt, me stoppant dans mon élan et me faisant tomber lourdement par terre par la même occasion. Le choc me coupe la respiration pendant une seconde et un gong résonne à l'arrière de ma tête. Attendant que je me relève seule, Maywenn joue du bout du pied avec les pommes de pain tombées à terre et ne manque pas de m'en lancer dessus par la même occasion.

— Bonnes vacances.

Sa voix est narquoise et pleine de venin. Trop occupée à m'épousseter et à me demander ce qui va encore m'arriver, je ne réponds pas. À ce moment-là, je suis plus tendue et sur mes gardes qu'à n'importe quel autre moment de la journée. Faisant mine de partir elle lance négligemment par dessus son épaule :

— Oh, j'allais oublier. J'ai un petit cadeau pour toi, pour les vacances.

Sur ce, elle se retourne et la rouée de coups tombe. Plus violente que ce qui ne m'est jamais arrivé. Son élan lui permet de me donner un puissant coup de poing dans l'épaule. Puis vient un violent coup de genoux dans les côtes, ce qui me jete, du fait de sa force surhumaine, à nouveau à terre.

— Joyeuses Pâques, me susurre-t-elle à l'oreille, accroupie à côté de mon corps à moitié inerte. Et n'oublie pas de penser à moi pendant les vacances, j'ai vraiment hâte de te revoir dans deux toutes petites semaines.

Là-dessus, elle se relève avec un sourire cruel aux lèvres. Sa voix résonne encore une fois à mes oreilles, d'un ton anodin chargé à la fois de nostalgie et de sarcasme.

— Il faudra bien en profiter. Après ces vacances-là, il nous restera à peine deux mois pour profiter l'une de l'autre. Le lycée va décidément me manquer plus que je ne le pensais.

Avant de partir pour de bon, elle donne à nouveau un coup de pied, cette fois dans ma mâchoire, et atteignant du même coup l'œil. Un dernier heurte ma cheville droite. Je reste là pendant presque deux heures, allongée par terre en attendant vainement que cette douleur passe ; ou du moins qu'elle se calme. Comprenant que ces impitoyables lames affûtées vont continuer de me tirailler tout le corps quoi que je fasse, je rassemble le peu de force et de courage qu'il me reste et, décidée à ne pas passer la nuit ici, je me relève avec beaucoup de lenteur et de difficulté.

Je me mets à marcher avec peine, à trottiner en boitant puis à courir à travers les bois dans la lumière faiblissante de cette nuit d'avril. De nombreuses larmes coulent sur mes joues et brouillent ma vision. Je cours sans réfléchir dans les bois plus sombres que le ciel, l'esprit envahi par des pensées tout aussi noires. Slalomant entre les pins, l'air crépusculaire et glacé anesthésie en partie ma douleur.

La rage que mon mal entretient me pousse non pas à me diriger vers la maison de ma mère, que je tiens en partie responsable à cause de ses stupides règles, mais vers le châlet de ma grand-mère avec qui je partage un lien privilégié.

Soudain anormalement essoufflée, folle de rage et de rancune, je m'arrête à moins d'un mètre de ce que je pense être le plus gros sapin des alentours. Je sens une envie pressante, non, un besoin presque vital d'expulser la colère m'envahir. Alors je fais la première chose qui me vient à l'esprit.

Imprégnée d'une force soudaine née de la douleur et de l'amertume qui m'accablent, je ferme mon poing, arme mon bras, et me fichant totalement de m'exploser les phalanges contre l'écorce du centenaire qui se trouve devant moi, je frappe du plus fort coup de poing qu'il me soit arrivé de donner.

Un bruit mat mais assourdissant, suivi de craquements de branches et de bruissements de feuilles remplit l'air. Toujours sonnée à cause de la douleur ; au bord de l'évanouissement et alors que j'entends un bruit énorme qui fait trembler la terre, je regarde autour de moi, pensant trouver un sanglier ou autre animal forestier ayant essayé de m'imiter.

Ne remarquant rien ni personne, je redirige mes yeux vers l'endroit où ils se portaient auparavant, là où se trouve, ou plutôt se trouvait le sapin. Dans la pénombre du crépuscule, ne voyant plus de tronc devant moi, je lève les yeux. Il y a maintenant dans le plafond de branches de la forêt un immense trou. Hébétée, la bouche entrouverte, j'abaisse alors mon regard et vois le sapin couché à terre, comme moi un peu plus tôt.

Ressentant alors une nouvelle pulsion, je m'allonge à côté du grand pin et clos mes paupières.

J'ai dû m'endormir une bonne heure. Me relevant encore douloureusement, je regarde le pin à côté de moi. Il est absolument impensable, non, impossible que ce soit moi qui aie déraciné ce sapin. Il aurait fallu que je possède une force plus puissante, bien plus puissante que celle qu'il m'est possible d'emmagasiner. Même sous l'effet de l'adrénaline. Je suis une sorcière, pas un loup-garou ni un vampire. Pensant avoir été aux prises avec des hallucinations ; et, statuant finalement que, vu l'état mental et physique dans lequel je me trouve, j'ai complètement perdu la tête, je me remets à courir dans la direction que je pense être celle du châlet de ma grand-mère.

J'arrive alors que la lune rousse est haute dans le ciel étoilé. Aliana m'attend sur le porche, son téléphone portable à la main et un air inquiet sur le visage que je ne lui avais encore jamais vu. Sitôt que ses yeux cuivrés se posent sur moi, elle passe un appel. Ma mère sans doute. J'ai arrêté de courir en sortant des bois et dès que l'air froid cesse de me souffler au visage, les pensées glaciales qui tournaient en rond dans ma tête refont surface.

La douleur, jusqu'alors mise en sourdine, transperce à nouveau tout mon corps avec une incroyable violence ; si bien qu'une demi seconde plus tard, je me retrouve à terre, me tordant de douleur et versant sur le sol le peu de larmes qu'il me reste ; un cri de douleur bloqué dans ma gorge. Aliana raccroche alors précipitamment, s'élance à mon secours et me porte à l'intérieur avec la facilité d'une femme de vingt ans. Alors que je gémis de douleur, elle me dépose précautionneusement sur le lit de la chambre d'amis, allume la lumière pour constater dans quel état déplorable je me trouve.

Je cille du seul œil encore capable de le faire.
Un œil irrité et qui pleure seul.

Ma grand-mère me diagnostique deux côtes fêlées ainsi qu'une cheville, un énorme hématome sur l'épaule gauche et, en prime, le côté droit du visage entièrement rouge et tuméfié, avec un bel œil au beurre noir. J'ai les lèvres si asséchées et gonflées que je ne peux même pas demander un verre d'eau. Aliana sort de la chambre et éteint la lumière. Elle est sans doute partie chercher les remèdes de sorcières qui facilitent miraculeusement la guérison. C'est en sentant les onguents rafraîchissants sur mon corps brûlant que je m'endors pour de bon.

Le Dernier AngeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant