Le Dernier Ange

Chapitre 15 - partie 4/4

— Non, tu as bien raison.

— Je vais te donner mon avis sur la question. Je n'ai jamais douté que tu puisses ressentir un amour passionné et affectueux, de celui qu'on ressent lorsqu'on est en couple avec quelqu'un. Même en ayant une relation comme la notre à côté. Je pense qu'il existe plusieurs formes d'amour. On n'aime pas de la même façon notre famille, que nos amis ou que notre conjoint. Pour nous, c'est pareil. On partage une certaine forme d'amour. Il est sûr que nous ferons entièrement partie de la vie de l'autre, et pour toujours, mais ce n'est pas un amour qui mène à un mariage ou à un couple. Et puisque ce n'est pas un amour de ce genre, il ne prend en rien la place d'une relation amoureuse.

— Donc même en t'ayant à mes côtés, je suis capable d'aimer d'un amour qui mène à un couple.

— Exactement. Il faut savoir faire la part des choses et ne pas mélanger deux relations qui ne sont pas les mêmes. Par exemple, Gwen, tu penses vraiment qu'à trente-cinq ans je n'ai personne dans ma vie ?

— Quoi ?! Mais tu ne me l'a jamais dit !

— Oui, exactement. Parce que je sépare ces deux aspects de ma vie, qui ne sont pas directement liés. Tu n'as pas à être au courant de toute ma vie comme je n'ai pas à l'être de la tienne. On peut parfaitement avoir notre jardin privé. On le doit même, je pense. Nos âmes ont beau être jumelles, nous avons chacun la notre. Elles sont distinctes. Ce sont deux parties qui ne forment qu'un, mais deux parties tout de même. Il ne faut pas qu'on l'oublie.

— Oui, je vois ce que tu veux dire. Mais du coup, à propos de ta femme ? Je suis curieuse maintenant !

— On ne t'arrête vraiment pas, haha ! Ce n'est pas ma femme, seulement une compagne. Nous ne sommes pas encore mariés. Elle est restée au Kenya. Je te la ferai rencontrer un jour.

— Elle sait que tu es un Protecteur ?

— Je ne le lui ai pas encore dit. J'attendais que tout soit certain avant de lui en faire part. Ah, au fait, c'est un autre point que je voulais ajouter.

— Lequel ?

— J'y ai longuement réfléchi, et je pense que les personnes avec qui nous avons des relations se doivent d'admettre qu'un tel lien, contre lequel ils ne peuvent rien, existe. Une personne qui n'arrive pas à comprendre ou au moins à accepter qu'une connexion si importante et à laquelle nous ne pouvons rien existe entre nous, nous rendra tous les trois malheureux. De mon côté, Gwen, je te considère plus importante que n'importe quelle relation amoureuse. Tu seras toujours ma priorité, sache-le.

— Merci Estheban. Merci beaucoup, vraiment.

Nous parlons encore quelques minutes, puis rompons le contact. Entendre sa voix, même par la pensée, et sentir son esprit me fait beaucoup de bien. Je passe quelque temps à observer le ballet des étoiles jouant avec les nuages faits de magie, avant de tomber de fatigue.

***

Je suis de bonne humeur lorsque je descends manger le petit déjeuner. Emin m'annonce que nous allons travailler mes techniques de combat. À l'en croire, même si j'ai de bonnes bases, hier il aurait, je cite, « pu me tuer trois fois avant que je n'arrive jusqu'à lui ». C'est un professeur strict et rigoureux. Selon lui, avec de l'entraînement, ma vitesse pourra dépasser celle des plus rapides vampires et lorsque toutes mes compétences seront développées, elles dépasseront de loin celles des plus notables Grandes Puissances.

Nous passons donc la journée à améliorer ma vitesse, mes feintes, à créer des situations de plus en plus délicates desquelles je dois me sortir tout en affrontant soit ma grand-mère, soit Emin. Ce dernier est non seulement un très bon professeur mais également un adversaire redoutable. Bien plus compétent que ma grand-mère ou que Haiko. La journée se termine avec un affrontement dans lequel je me confronte à mes deux enseignants.

Je me retrouve morte dix fois en l'espace de trois minutes.

Une défaite écrasante.

Le soir, nous discutons de choses et d'autres, appréciant de partager notre temps avec nos partenaires de combat. Je finis par promettre à Emin qu'une fois tout cela sera terminé, je reviendrais lui mettre une raclée dans un combat au corps à corps. Une fois dans mon lit, je contacte Estheban.

— Comment est-ce que tu vas ?

— Je vais bien et toi ? Tu as passé une bonne journée ?

— Je vais très bien. La journée a été difficile, mais pas désagréable.

— Qu'est-ce que vous avez fait ?

— On n'a fait que se battre. Je me suis fait laminer par Amma et Emin.

— Vraiment ? À ce point-là ? Pourtant, de ce qu'on m'a dit, tu n'es pas en reste.

— Je te jure, ils sont vraiment doués. Et toi, qu'est ce que tu es en train de faire ?

— J'ai cours avec les nymphes aujourd'hui. Avec celui des elfes, ils ont organisé un cache-cache géant dans la forêt. Pour l'instant je n'ai pas encore été repéré. Je me suis donné à fond. Avec d'autres loups-garous, on a fait un pari. Les premiers trouvés devront nettoyer la fourrure des autres la prochaine fois qu'on se transforme. Et il est hors de question que je perde.

— Combien de temps tu dois encore tenir caché ?

— Un peu moins d'une heure. Vu ma cachette, j'ai conf... Merde !

— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

— Il y a une nymphe qui arrive. Je ne pensais pas qu'un chercheur viendrait dans ce coin-là. Puisque je t'ai ouvert mon esprit, elle a dû me repérer.

— Oh non... Je n'ai pas envie que tu perdes.

— Moi non plus, sérieusement ! Le gage est vraiment une corvée !

— Je vais te laisser et aller dormir alors. Tiens-moi au courant du résultat !

— Oui, bien sûr. Bonne nuit, Gwen.

— Merci, à demain.

— Oh et, Gwen.

— Oui ?

— Merci de m'avoir contacté.

— Le plaisir est pour moi. J'y vais, salut !

Je romps le contact et me retire de son esprit. Je me perds dans mes pensées et en viens à penser à Emin. Il n'est finalement pas du tout comme je le pensais au premier abord. Je le voyais désobligeant, froid et distant. J'ai aujourd'hui découvert qu'il est quelqu'un de très compréhensif, doux – lorsqu'il le veut – et surtout très intelligent. Il a également beaucoup d'humour, qu'il n'a certes pas pu exercer pendant un millénaire, mais on le lui pardonne facilement. Je découvre qu'il aime le monde entier et porte un amour profond pour la nature. Il a seulement beaucoup souffert dans sa vie et a peur de la reprendre là où il l'a laissée. Peur de souffrir encore une fois.