Chapitre 23 - partie 1/2

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— Gwen, ton dos. Je dois le vérifier avant de partir.

    Ayant déjà vérifié en me levant, je connais l'état des plaies. La guérison s'est opérée à une vitesse stupéfiante. La peau est passée, en seulement quelques heures, d'un rouge douloureux et vif à un rose pâle.

— Ça te fait mal ?

— Non, en fait c'est comme à moitié anesthésié. Je ne sens pas grand-chose et ça chatouille un peu.

— Bien, la sensibilité est bonne. Ça restera une zone plus sensible comparé au reste de ton corps. Ça fait ça chez tous ceux qui ont des ailes. Le sentiment d'anesthésie est dû à la pommade que je t'ai demandé de mettre en te couchant hier soir. Sans ça tu n'aurais pas pu dormir cette nuit.

— Pour éviter la douleur, pourquoi n'as tu pas guéri avec la magie ?

— Ça aurait refermé l'ouverture par laquelle sortent tes ailes. En les ouvrant de nouveau, ça t'aurait alors littéralement déchiré le dos. En gros, tes ailes se seraient déployées dans ton corps et pas à l'extérieur. Pas très joli, hein. En parlant d'ouverture, à partir de maintenant tous tes habits devront avoir deux trous dans le dos. Sinon ils pourraient tous finir comme ce pauvre pull, dit-il en désignant ledit vêtement avec le dos déchiré que je portais hier, d'un ton faussement accablé, malicieux.

— Je vois. Je vais devoir découper toute ma penderie alors. Dis, ce matin je me suis demandé si les ouvertures seront toujours aussi grosses. Parce que si oui, ça sera assez visible. On ne les voit pas chez toi, c'est pour ça que je me suis posé la question.

— Oh, ça ! Dans quelques jours, ça sera un peu comme des branchies. Ça se sera réduit à l'état d'une simple fente qui s'élargira pour laisser passer les ailes. C'est pratiquement invisible et même quand on sait que c'est là, il faut pratiquement les chercher pour les voir. Pour toi, ça s'est passé différemment parce qu'on a forcé leur développement, mais moi, au début, je pensais que des cornes sortiraient de là, plaisante-t-il de lui-même. C'était la bonne époque...  Enfin bon, finis de te rhabiller, je t'attends dehors. Je te ferai les trous dans son t-shirt là-bas.

***

«Avant qu'un Ange ne développe ses ailes, il est certes puissant, mais ses capacités sont infimes par rapport à ce qu'il est capable d'effectuer une fois ses ailes développées. Lorsqu'elles sont sorties, tu as dû ressentir comme une explosion de puissance. Cette puissance est toujours là, seulement cachée pour ne pas te détruire si tout est libéré, comme cela s'est passé lors de la Révolte. Lorsque tu sors tes ailes, cette puissance se dévoile et elles te permettent de la contrôler plus facilement. C'est pareil lorsque tu entres dans la Perception. Tes ailes te permettent de ne pas te perdre et d'y rester coincée. Pendant quelques semaines, nous viendrons tous les jours ici. À cette période de l'année, c'est un endroit assez peu visité donc on pourra t'entraîner à voler comme il se doit, à contrôler et améliorer ta puissance. Avant tout, il faut que tu saches sortir tes ailes naturellement et sans douleur. C'est ce à quoi nous allons te familiariser pour le moment. » Voilà le discours qu'Emin me donne avant de me demander de monter sur le toit du minibus. « Reste debout, ferme tes yeux et concentre toi sur le creux entre tes omoplates. »

Me soumettant de nouveau à l'exercice auquel j'ai lamentablement échoué quelques mois plus tôt, celui qui m'aurait permis de développer les ailes de fées, je prie intérieurement pour que la fin en soit différente. Mais comment ces ailes ne pourraient-elles être qu'un mirage compte tenu de la douleur qu'elles m'ont causées ? Fermant donc les yeux, je me concentre sur ce fameux point. Là, une force, non, ce n'est ni une force, ni un muscle ; mais quelque chose est bien là, palpitant comme animé d'une volonté propre, voulant sortir et se libérer.

— Je les sens, mais c'est étrange.

— Étrange mais agréable. Je trouve toujours ça plaisant  et rassurant de les sentir, de savoir qu'elles sont là. Bref, maintenant que tu as conscience de leur présence, tu peux leur demander de sortir. Tu as juste besoin de les pousser un tout petit peu de l'intérieur vers l'extérieur. Imagine que ton dos s'élargit de l'intérieur, comme si l'air que tu inspires n'allait pas dans tes poumons mais dans le haut de ton dos. En même temps que tu visualises cette respiration, pousse doucement comme je te l'ai décrit. Si ça peut t'aider, tu peux fermer les yeux pour les premières fois.

Fermer les yeux. Se concentrer. Faire entrer l'air dans mon dos et sentir les palpitations qui s'intensifient. Pousser légèrement et sentir cette force, non, ces ailes qui se libèrent et grandissent dans un froissement de plumes.

— Oui ! C'est génial, Gwen !

— Elles sont sorties ? Elles sont sorties. Comment elles sont ?

— Tu devrais ouvrir les yeux pour les voir.

Un lit, plutôt un duvet de plumes. Des plumes d'un ambre laiteux, qui semblent aussi douces qu'un nuage et desquelles émane une lumière dorée aussi pure que celle des étoiles.

— Ouah !

C'est le seul mot qui me vient à l'esprit pour décrire ce que je ressens à cet instant, en les regardant. Mais même ce simple mot ne reflète pas ce que j'éprouve. Il est si grossier pour décrire la majesté qui me traverse en cet instant. Elles font partie de moi. Elles sont moi. Et pourtant, elles semblent tellement plus divines, tellement plus pures que le simple être que je suis. Comme si aucun péché ne pourrait jamais les entâcher. D'une grâce divine. Ce sont les mots qui me viennent pour les décrire. Sauf que les prononcer à haute voix, les sortir de mon cœur, leur enlèverait toute leur grandeur. Alors je laisse ces mots là où ils sont, me promettant de me montrer chaque jour assez digne de ce cadeau que m'ont fait les dieux en m'envoyant, moi, un Ange, sur Terre.

— Je te l'accorde, elles sont magnifiques. Et même si l'avouer me brise le cœur et réduit mon égo en miette, je l'admets : elles sont peut-être un tout petit peu plus belles que les miennes. Et tu as de la chance, elles ne sont pas déplumées.

— Comment je fais pour les faire bouger ?

— Bouge les, tout simplement. C'est comme si tu me demandais comment bouger ton orteil, c'est une question inutile et bizarre. Vas-y doucement, au début.

    J'apprends donc, pendant la fin de la matinée, à les faire sortir, bouger, rentrer, à décoller de quelques centimètres et à atterrir. Au bout d'une petite semaine, j'arrive complètement à maîtriser mon vol. Je peux accomplir, avec Emin et Estheban, un véritable ballet aérien au-dessus de la falaise, dans les courants d'air capricieux et frôlant les vagues déchaînées en contrebas.

Le Dernier AngeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant