4/ Promets-moi que tu seras toujours libre.

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 – Eh, attention !

J'évite de justesse un vieil homme qui promène son chien et continue ma route, vif et souple sur mes rollers. Aujourd'hui, c'est dimanche, nous n'avions pas de match prévu. Luis nous a donné quartier libre, alors j'entretiens ma forme en arpentant la ville. Il fait un temps magnifique, tous les habitants sortent de chez eux, avec chiens, enfants et poussettes, ce qui rend l'exercice un peu plus interactif.

Je traverse un parc, soulevant des nuées d'oiseaux dérangés, et tourne sur la gauche pour aller vers le fleuve. C'est le coin le plus beau.

Je m'engage sur la voie verte, tête baissée, je glisse à toute vitesse sur le revêtement photovoltaïque.

CRAC !

Au-dessus de moi. Un bruit de bois brisé suivi d'un cri. Je fais un bond de côté instinctif, et une grosse branche s'écrase par terre en me frôlant au passage.

– Au secours !

Je relève la tête et vois deux pieds qui s'agitent à trois mètres du sol, le reste de leur propriétaire caché par le feuillage du vieil érable. Je m'approche.

– Je suis coincé !

Je me tords le cou pour tenter de mieux voir, mais son visage est invisible. Je crie à l'aveuglette :

– Qu'est-ce que vous faites dans cet arbre ?

– Je viens de le dire, je suis coincé ! Est-ce que vous pourriez m'aider, la branche ne...

Nouveau craquement.

– JE VAIS TOMBER !

Je tends un bras, mais même en m'étirant au maximum, je ne peux qu'effleurer la semelle des bottines. Des yeux, je cherche vainement un promontoire, quand l'arbre tranche pour moi.

Avec un craquement sinistre, une autre branche cède et « l'autre » tombe. Par réflexe, je referme les bras autour de lui, mais sous le choc, je bascule en arrière et m'étale sur le dos.

– Aïe !

On essaye de se relever, bras et jambes entremêlés, sous le regard curieux d'une famille qui nous contourne à vélo. Je parviens à me mettre à quatre pattes, le souffle coupé, retire du coude sa jambe qui repose sur mon dos et me redresse en me massant les reins.

– Merci.

L'autre se relève aussi, avec précaution. Je le dévisage. Il me sourit, un sourire un peu navré. Il est petit. Et très mince, pour ne pas dire carrément maigre. Il darde sur moi un regard brun très foncé, déstabilisant sur son visage pâle, fantomatique.

– De rien.

– J'ai voulu remettre un petit oiseau dans son nid, explique-t-il, sans cesser de me regarder dans les yeux. J'ai réussi à monter, mais...

Il a un petit rire nerveux.

– ... pas à descendre.

Sa voix est étrange. Il paraît très jeune, mais il a une voix éraillée, cassée, comme celle d'un homme d'âge mûr qui aurait fumé un paquet de cigarettes par jour depuis au moins quarante ans.

Il se rapproche soudain de moi, scrutateur.

– Ils sont dingues, tes yeux... Verts, avec des taches de doré...

Je recule un peu, mal à l'aise. Il vient de me tomber dessus du haut d'un arbre, je ne le connais pas, et lui, il me parle de mes yeux ?

Il s'écarte, conscient de son comportement, mais pas franchement gêné. D'un mouvement vif, il tourne les talons et traverse la route à grands pas, évitant de peu un bus dont le chauffeur klaxonne. Il lui fait un doigt d'honneur et poursuit son chemin.

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