18/ ADI.

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 Le cœur battant, je m'agenouille devant le corps immobile, avance une main tremblante pour lui toucher le poignet, terrifié à l'idée de le trouver froid comme la mort. À l'instant où mes doigts se posent sur sa peau, je ressens un intense soulagement. Il n'est pas froid, il est même chaud. Je fronce les sourcils. Très chaud.

– Lenni ?

Il ne bouge pas. Je saisis son épaule et le retourne vers moi. Dans la lumière crue des phares de ma Golian, il ressemble plus que jamais à un fantôme. Ses yeux sont fermés, il dégouline d'eau. Depuis combien de temps est-il étendu ici sous l'averse, devant mon immarbre ? Qu'est-ce qui lui est arrivé ?

– LENNI !

Aucune réaction. Je respire profondément pour ne pas paniquer. Il faut que j'appelle les pompiers.

J'attrape mon smartphone au fond de ma poche, mais au moment de composer le numéro, je suspends mon geste, le pouce à un millimètre de l'écran. Si les pompiers viennent, ils vont l'emmener à l'hôpital. À St-Antoine. Là où Joe est morte.

Je remets le smartphone dans ma veste, passe doucement un bras derrière le dos de Lenni, l'autre sous ses genoux, le soulève et me redresse. Il est un peu plus lourd que ce à quoi je m'attendais. Sa tête retombe contre mon épaule gauche, et je ne sais pas si c'est ça ou autre chose, mais Evania apparaît soudain devant moi.

– Qu'est-ce qui se passe ?

Elle est blanche comme un esprit.

– Je ne sais pas. Tu peux rentrer ma voiture ?

Elle hoche la tête sans poser d'autres questions et s'en va vers la Golian. Les gouttes tombent tout autour d'elle, mais pour une raison obscure, ne semblent pas la toucher.

Lenni dans les bras, je marche vers l'entrée de l'immarbre, ouvre la porte du pied et appelle l'ascenseur. Sans trop savoir comment, je parviens au quatrième, devant la porte de Madame Rodriguez.

Avant même que j'aie sonné, la porte s'entrouvre.

– Qui... ?

Elle me voit, trempé, dégoulinant de pluie, voit Lenni, inerte et blanc. Ses yeux s'ouvrent en grand et elle attrape vivement mon bras pour me tirer à l'intérieur. Elle referme sans bruit derrière moi puis me fait signe de la suivre.

– Pose-le là, mon petit Tao.

Elle désigne un canapé recouvert d'un plaid écossais à carreaux verts et rouges. J'y allonge délicatement Lenni, observe la pièce.

L'appartement de Madame Rodriguez est conçu sur le même plan que le mien, mais il est radicalement différent. Des tapis de laine bariolés cachent le plancher, des étagères sont alignées tout le long des murs, encombrées de flacons, de boîtes, de bocaux et les couleurs sont plus sombres, pourpres, orangés. Un peu partout, des jardinières en bois remplies de plantes diverses. La lueur du luminaire est tamisée par un voile rouge, ce qui donne au lieu une atmosphère crépusculaire.

Madame Rodriguez s'accroupit à côté de Lenni et lui pose une main sur le front. Elle hoche la tête, les traits tendus, se relève et se tourne vers moi :

– Où l'as-tu trouvé ?

– Dans la rue, il y a deux minutes à peine.

Elle acquiesce de nouveau et s'en va en trottinant tout en lançant par-dessus son épaule :

– Je reviens. Tu as bien fait de ne pas l'emmener à l'hôpital.

Je reste seul dans le salon, désemparé. Un fourmillement sur ma peau m'informe qu'Evania est revenue. Je ne comprends toujours pas comment elle peut me rejoindre à travers les murs, mais il vaut peut-être mieux ne pas chercher à comprendre.

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