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19/ Obligé de rien.

 Le grondement du tonnerre s'éloigne peu à peu de Junel. Il fait complètement nuit, maintenant, et dans le salon de Madame Rodriguez, il règne un silence lourd.

Elle est allée faire du thé, je l'entends s'affairer dans la cuisine avec des bruits de vaisselle. Evania ne me parle plus, elle s'est sans doute mise en « veille », comme elle dit. Seul Lenni semble apaisé, on dirait un enfant endormi. La crispation de son visage s'est dissipée, il ne tremble presque plus. J'ignore ce que Madame Rodriguez lui a administré, mais c'est efficace.

Pendant une dizaine de minutes, j'ai vraiment cru qu'il allait mourir.

Madame Rodriguez revient, chargée d'un plateau où sont posées deux tasses et une théière en céramique verte et bleue. L'odeur du thé se répand rapidement dans toute la pièce, chassant celle de l'humidité. Sous la chaise, le manteau détrempé de Lenni a formé une petite flaque.

– Comment te sens-tu, Tao ?

Sa question me cueille à l'improviste.

– Moi ? Je vais bien.

Elle verse délicatement le thé dans les tasses, m'en tend une.

– Tu aurais des raisons d'être un peu secoué.

Sait-elle déjà que j'ai quitté le Yam ASC ? Possible. Je hausse les épaules. Secoué, je le suis. Mais ces dernières semaines ne m'ont pas vraiment laissé de répit pour m'interroger sur moi-même.

Je goûte le thé du bout des lèvres. Il est fleuri et brûlant.

Madame Rodriguez reprend abruptement la parole :

– J'ai réfléchi, depuis tout à l'heure. Je peux faire un peu plus.

Elle donne un coup de menton vers Lenni.

– Comment ça ?

– Je lui ai fait une prise de sang. Je vais demander à quelqu'un de l'analyser pour moi. Cela pourrait être enrichissant pour ma propre connaissance de son cas – il y a autant d'ADI qu'il y a de malades – et me permettre de mieux le soigner. Et s'il est d'accord, je vais l'inscrire dans le registre international.

Je pose ma tasse en équilibre sur mon genou.

– Qui est ce quelqu'un dont vous parlez ?

– Une amie. Elle travaille dans un laboratoire médical privé. Elle fait aussi partie d'une association qui défend les victimes de malveillance médicales, ainsi que celles malades à cause de la pollution de l'environnement. Je sais qu'elle acceptera.

– Qu'est-ce qu'on peut en espérer ?

Elle pose une main sur mon bras.

– Pas grand-chose, à mon avis, simplement, cela étayera les connaissances que nous avons déjà sur l'ADI. Et surtout ça nous permettra de soigner Lenni au mieux.

J'acquiesce. Malgré sa retenue, je sens un espoir infime se nicher dans mon ventre.

– Et en attendant ?

Elle boit une longue gorgée de son thé avant de me répondre :

– En attendant, Tao, on va faire notre possible.

Je regarde Lenni. Ma vie est désormais vide d'obligation, de toute façon.

– Je peux le prendre chez moi. Le temps qu'il se remette. Je crois qu'il vit dans la rue.

Madame Rodriguez me lance un regard par-dessus sa tasse fumante.

– C'est très gentil à toi. Mais ne te sens pas obligé.