35(1/2)/Ne mords pas la main qui te nourrit.

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 – Je vais essayer d'être la plus claire possible, commence Joe. Comme vous le savez, le club du Yam ASC ne date pas d'hier. Il existe depuis 2026. Cependant, en 2053, il a été repris par des industriels étrangers, basés au Moyen-Orient. Ils possèdent des entreprises qui fabriquent des composants pour panneaux photovoltaïques, Lightsun. Ils ont mis beaucoup d'argent dans ce club, espérant des résultats rapides, et dans un premier temps, ça a assez bien marché. Mais sept ans plus tard, le club a traversé une grande crise financière. La ligue professionnelle lui a infligé des sanctions pour des transferts frauduleux. Plusieurs très bons joueurs ont dû être vendus pour équilibrer les comptes. Ils ont été obligés de faire signer beaucoup de jeunes pour remplacer ceux qui partaient – avec Tao, on ne peut pas dire que ça ait été une mauvaise opération.

J'esquisse un sourire. Joe secoue la tête tout en parlant :

– Mais le club était au bord de la faillite. Il fallait en urgence des fonds pour refluer les caisses. Lightsun ne pouvait pas injecter plus d'argent sans se couler elle-même. Alors que tout le monde pensait qu'ils allaient se résoudre à liquider le club et accepter un échec retentissant, les dirigeants ont annoncé avoir signé un partenariat avec une société d'expertises énergétiques, Eco Experts. Grâce à ce sponsor, le club est revenu à l'équilibre. La situation s'est améliorée rapidement. J'ai été nommée en 2061 entraîneure de l'équipe A et nous avons commencé à bien travailler. En 2063, nous avons réalisé le doublé coupe/championnat. Titre de meilleur joueur et plus beau but pour Tao, meilleur entraîneur pour moi. J'étais fière de mon équipe et de mon club.

Joe nous observe, souriante.

– En août de l'an dernier, le Président m'a convoquée pour négocier ma prolongation de contrat. À l'heure prévue, je me suis postée dans le couloir pour attendre. C'est là que j'ai entendu une conversation que je n'aurais probablement jamais dû entendre.

Comme un seul homme, on se penche en avant.

– Il faut dire qu'il parlait fort, remarque Joe, comme pour se déculpabiliser. Bref, Il était en pleine conversation téléphonique, en tout cas, c'est ce qu'il m'a semblé. Il me paraissait anxieux, apeuré, même. Il disait : « Il nous faut encore du temps, je vous jure que nous respecterons nos engagements, nous faisons tout notre possible », « Ce n'est pas qu'une question d'argent, vous le savez ». Puis il a raccroché et j'ai entendu le bruit de ses pas qui venaient vers la porte. Il est sorti. Quand il m'a vue, il a eu l'air très méfiant. Il m'a demandé depuis quand j'étais là. Je lui ai répondu que je venais d'arriver. Il a paru soulagé et m'a dit qu'il avait des affaires urgentes à régler, que je n'avais qu'à revenir demain. Et il est parti.

Joe fait un geste vague.

– Tout aurait pu en rester là. Mais j'ai remarqué qu'il avait une enveloppe en kraft à la main. Une enveloppe qui semblait très remplie. Ça et son attitude m'ont intriguée. Quand je suis revenue le lendemain, j'ai croisé les propriétaires en personne. Ils m'ont dit qu'ils étaient venus pour parler d'une affaire importante. Je n'en ai pas su davantage. Le Président m'a reçue dans son bureau. Il avait l'air à la fois soulagé et épuisé. Je lui ai demandé ce qui n'allait pas. Il m'a assuré qu'il n'y avait aucun problème. J'ai signé ma prolongation, sans augmentation. En partant j'ai interrogé le vigile. Il a lâché qu'il voyait souvent passer ces enveloppes de papier kraft, mais qu'il ne savait pas ce qu'il y avait dedans ni à qui elles étaient destinées.

Là, Joe s'arrête un instant, pour vérifier que nous la suivons. On hoche sagement la tête, comme lors des briefings d'avant-match. Elle considère sans doute que nous sommes suffisamment attentifs, car elle reprend :

– Tout ça m'a tracassée. Et je me suis demandé si le club n'aurait pas à nouveau des soucis d'argent. Cette idée m'a travaillée toute la nuit, j'avais peur d'une nouvelle faillite. Et le lendemain, j'ai appelé le Président pour lui dire franchement que si le club était en difficulté financière, j'étais prête à baisser mon salaire et à demander aux joueurs de faire de même pour que les comptes restent à flots.

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