46 (2/2)/ Il ne peut techniquement plus rien vous arriver.

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 Une fois qu'on a mangé, fait la vaisselle et rangé la cuisine, Joe et Tim s'en vont.

Lenni et moi nous retrouvons seuls dans le salon. Enfin, presque.

– Coucou ! roucoule Evania en tournicotant autour de nous dans une volute de fumée rouge. Alors, on fait quoi ? Une fête ?

Elle nous considère l'un après l'autre.

– Hum, plutôt un enterrement, on dirait. Qu'à cela ne tienne.

Elle va allumer la chaîne hi-fi posée sur l'étagère.

– Voyons, marmonne-t-elle en faisant défiler les chansons, non, pas ça, trop triste, ni ça, trop mou... Ah !

Elle s'arrête sur un titre, triomphante.

– Voilà ce qu'il vous faut.

Elle enclenche la lecture et aussitôt, les premières mesures de « Crazy Little Thing Called Love » résonnent dans la pièce. Je croise les bras.

– Je ne vois pas le rapport avec la situation.

Evania tourbillonne autour de nous.

– Normal, il n'y en a pas. Allez, décoince un peu et danse.

Je veux répondre qu'il n'en est pas question, mais Lenni m'alpague par un bras.

– Viens, je vais t'apprendre à danser le rock.

Je veux résister mais Evania me saisit par l'autre bras et je suis bien obligé de suivre. Lenni me prend les mains et annonce, mi-figue mi-raisin :

– Tu vas faire la fille.

Une heure plus tard, nous sommes étendus sur le plancher, les yeux clos et les bras en croix.

Je ne saurais même pas dire quand Evania a disparu exactement.


***


Un policier vient nous annoncer que nous sommes désormais sous protection policière et qu'il ne peut techniquement plus rien nous arriver.

Je serai suivi en permanence par un « DPPR », un Drone Policier de Protection Rapprochée, où que j'aille, et ce, tant que cela sera jugé utile. Il vaudrait d'ailleurs mieux que je ne sorte pas du tout. Quant à Lenni, il est assigné à résidence, autrement dit chez moi. Il est sous le coup d'une procédure judiciaire pour homicide volontaire et devrait comparaître « au plus tôt ». Il pâlit en entendant ça, mais ne dit rien.

Une fois ses instructions débitées, le policier nous salue et prend la porte. Une seconde plus tard, un bruit de choses qui dégringolent nous parvient.

– Enfin, mon garçon, regardez donc où vous allez !

– Je suis confus, Madame...

– Au lieu d'être confus, aidez-moi plutôt !

Accroupie dans le palier, Madame Rodriguez, assez remontée, ramasse des fraises qui ont roulé un peu partout. Aussi rouge que les fraises, le policier l'aide à les remettre dans son panier en marmonnant des excuses. Madame Rodriguez récupère la dernière fraise et congédie le malheureux.

– Ouste, vous avez fait suffisamment de dégâts comme ça. Tiens mon petit Tao, c'est pour toi, mais il faudra les laver. Les jeunes, je vous jure.

Lenni louche sur les fraises et se propose pour aller les rincer.

– Vous voulez entrer avec nous, Madame Rodriguez ?

– Je ne peux pas, décline-t-elle en défroissant sa jupe en tissus écossais, j'ai rendez-vous chez le coiffeur. Mais je passerai vous voir plus tard, toi et le petit.

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