IMAGO

15/ Xavier Terry.

 Dans ma Golian, Evania se matérialise sur le siège passager, habillée de jean, la chevelure divisée en quatre longues tresses. J'allume les phares et démarre, mutique.

– Tao ?

– Hum ?

– Tao, qu'est-ce qui se passe ?

– Je n'en sais rien ! Tout ce que je sais, c'est que je vais mener une enquête et le savoir !

Evania ne lâche pas le morceau.

– Qui fouille dans les affaires de Joe ? Elle a fait quelque chose ?

– JE NE SAIS PAS !

Je me sens suffisamment ignorant comme ça, sans avoir besoin qu'elle retourne le couteau dans la plaie. Joe est morte, elle a emporté ses secrets dans sa tombe. Enfin, dans ses cendres.

J'ai un haut-le-corps. La voiture fait une embardée et la roue droite mord le trottoir. Je passe une main tremblante dans mes cheveux, le souffle court. Une pensée démente vient de me traverser l'esprit.

Si Joe avait mis le nez dans une affaire trouble, si elle dérangeait... Et si on l'avait assassinée ?

Evania se tourne violemment dans ma direction, faisant voler ses tresses dans tous les sens.

– Quoi ?

J'ai dû parler à voix haute. Ou bien elle a encore fouillé dans ma tête. Elle me dévisage, horrifiée.

– Tu crois que c'est possible ?

– Tout est possible, je murmure.

– Mais qu'est-ce qu'elle a pu faire pour qu'on veuille la tuer ?

– Je ne sais pas. Tout ça n'a pas de sens.

Elle se tait quelques secondes et je vois que l'idée commence à faire son chemin dans son crâne.

– Bien sûr que si ! Si jamais elle s'est mise, je ne sais pas moi, une organisation obscure à dos, et qu'elle gênait dans ses affaires, alors pourquoi ne pas s'en débarrasser ?

– Mais Joe est morte à l'hôpital !

– Morte de quoi, Tao ? rétorque Evania. On ne le sait même pas !

– On le saurait, si elle avait été assassinée ! je hurle. Un hôpital, Evania !

Elle fronce le nez et détourne la tête vers la vitre. On arrive dans la rue de la Lune Bleue. Je m'engage dans le parking souterrain de l'immarbre et me gare sur la place marquée d'un grand 15. Renfrognée, Evania me suit vers l'ascenseur en silence. Une fois dans la cabine, elle dit enfin :

– Tao, si Joe a été assassinée... Non, laisse-moi parler, ordonne-t-elle en voyant que je m'apprête à protester. Si jamais elle a été assassinée, alors, toi aussi, tu vas être en danger, si tu mets ton nez dans cette histoire.

Je fixe la rue à travers la paroi transparente de la cabine d'ascenseur. Évidemment que j'y ai pensé. Si quelqu'un était prêt à tuer Joe, alors il sera prêt à me tuer moi aussi. Je le sais et ça ne me fait pas peur. Qu'ils essayent.

L'ascenseur s'arrête au cinquième étage. Je sors sur le palier, Evania dans mon dos – elle attend toujours ma réponse.

– Ne t'en fais pas. Je ferai attention.

Un craquement discret retentit sur ma droite. Je me retourne, sur la défensive, certain de me retrouver face à Adolphe, mais je ne vois personne.

Une minute... La plante verte a bougé.