45(2/3)/ L'orgueil.

13 1 4
                                    

 Il y a une seconde de grand silence.

Puis la foule explose. Les supporters se mettent à hurler tous en même temps dans un vacarme inintelligible. Joe affiche un visage totalement hébété. Yann a l'air très choqué. Rupert réalise une véritable prouesse en étant à la fois rouge et vert.

Je lève les mains. Le brouhaha se calme.

– Lisa Norwitch a posé comme seules clauses : Recevoir 5 % des bénéfices du club en cash durant dix ans ; et moi.

Je fais un geste vers les écrans, et avec une synchronisation parfaite, la photo que j'ai prise dans le bureau de Lisa apparaît.

J'ai photographié les neuf pages du dossier, mais Madame Rodriguez l'a réduit à un seul cliché. On y voit les signatures de Lisa et du Président, accolée à celle des propriétaires de Lightsun, sous quelques phrases manuscrites à l'encre noire :

Le 5 décembre 2060, au 1814, Rue Saint Amour, Junel.

Nous, soussignés messieurs Ahmed et Fouad El Becktoum, dirigeants de Lightsun, propriétaires du club du Yam ASC et monsieur Bartolomeo Auteil, Président du Yam ASC, nous engageons à fournir à Lisa Norwitch 5 % des bénéfices du club en espèces durant dix ans à compter de l'année du redressement financier du club (présumée en 2061), ainsi qu'à lui livrer Tao Chantiminga dans les délais les plus acceptables. En échange de quoi, madame Norwitch s'engage à rétablir la situation financière du club en moins de six mois. Chacune des parties se réserve le droit de recourir à des moyens de pression si ces clauses n'étaient pas respectées par l'autre.

Je laisse couler un moment pour que tout le monde ait le temps de lire, puis reprends :

– En plus de l'argent qu'il lui reversait, le club devait, à court ou moyen terme, me virer, me faire virer ou démissionner pour qu'elle puisse me récupérer. Mais ça a duré plus longtemps que prévu, et Lisa s'impatientait. Quand Rupert est arrivé en poste, on lui a dit de tout faire pour me pousser à bout et m'obliger à partir. Je me trompe ?

Rupert secoue la tête, le regard dur mais admiratif.

– Et ça a marché dans un premier temps. J'ai démissionné. Mais je ne me suis pas pour autant jeté dans les bras de Lisa Norwitch. Alors elle a fait pression sur le Yam ASC pour qu'il me discrédite dans les médias, afin de saboter au maximum mes chances de retrouver un club. Exact ?

Le Président acquiesce raidement de la tête. Le représentant de Lightsun semble complètement perdu. Du coin de l'œil, je vois que les écrans géants diffusent maintenant les images de la tribune présidentielle en direct. Madame Rodriguez est formidable.

– Ils ont dit que j'étais violent, dérangé, instable. Je n'avais presque plus aucune chance de retrouver une équipe avec un tel portrait. Ni de réintégrer l'équipe de France. Alors j'ai décidé de jouer le tout pour le tout. Je me suis jeté dans la gueule du loup. J'avais dissimulé une caméra sur moi, ce sont ses images que vous venez de voir. Comme vous avez pu le constater, je me suis échappé. En pensant que j'étais encore dans la cellule où elle m'avait jeté, Lisa a envoyé Oleg Kovanski, son intermédiaire, dire à monsieur Auteil ici présent qu'il pouvait cesser toute action de diffamation, car la clause était remplie – vous venez de voir les images de cette rencontre. Du moins le croyait-elle. Car je suis là ce soir. Pour vous dire la vérité.

Le Président est prostré sur son siège, la tête basse. Le représentant le secoue, exige des explications.

Dans les tribunes du stade, un murmure court de lèvres en lèvres. Il prend peu à peu de l'ampleur.

J'entends quelques commentaires sceptiques sur la confiance que l'on peut avoir en mes paroles, vu « le milieu d'où je viens ». Deux ou trois personnes émettent l'idée qu'après tout, je travaille peut-être vraiment pour Lisa. Ou que je veux me venger. D'autres me défendent en avançant que je ne serais pas venu leur dire ça ici si ce n'était pas vrai.

Soudain, une voix plus forte que toutes les autres éteint les rumeurs et me fait sursauter :

– Bravo, Tao. Je ne pensais pas que tu aurais autant de cran.

Je la cherche fébrilement des yeux, comme le reste du stade. Elle ne peut pas être loin. Là ! Juste en face de la tribune présidentielle, postée tout en haut des gradins. Une grande et longue silhouette drapée dans un manteau noir. Elle fait un pas en avant et sort de l'ombre.

– Je ne pensais pas que tu aurais la force d'avouer ce que tu caches depuis toujours, l'identité de ta mère. Son métier. Je ne pensais pas que tu arriverais à t'enfuir de ta cellule. Je me suis trompée. Je l'admets, tu m'as surprise.

Le public est stupéfait. Lisa sourit, découvrant ses dents blanches.

– Je ne pensais pas que tu détruirais le peu qu'il te reste d'image pour dénoncer ton ancien club. Toujours ton esprit chevaleresque.

Elle fait un autre pas. En bas, sur la pelouse, Joe ne sait visiblement pas quoi faire. Elle a perdu le contrôle de la situation. Ses grands yeux noirs vont de moi à Lisa, sans parvenir à décider sur qui ils doivent se poser. Dans les gradins où Lisa est perchée, les gens commencent à s'éloigner craintivement.

– Ta mère te ressemblait tellement, mon chéri. Même dans sa situation, elle conservait un semblant d'orgueil. L'orgueil pousse à des choses stupides, tu ne trouves pas ?

Elle secoue gracieusement la tête et ses lourdes boucles d'oreille miroitent sous les projecteurs.

– Par exemple, penser que tu arriverais à m'échapper.

D'un geste ample, elle sort un long objet sombre de sous son manteau.

– On ne peut pas m'échapper, mon ange. Si je ne peux pas t'avoir, alors personne ne t'aura.

La scène ne dure qu'une fraction de seconde. Je vois le point rouge sur ma poitrine. Et j'entends les trois coups de feu.

On entend comme une explosion puis une fumée rouge dorée se répand dans la tribune présidentielle. Le stade a hurlé de surprise. Un choc sourd retentit ; le Président est tombé dans les pommes.

Un papillon rouge émerge de la fumée. Il s'envole dans la lumière crue des projecteurs, traverse toute la longueur du stade, dans le seul bruit de la respiration de trente mille personnes interdites. Il monte vers le ciel, se glisse sous le rebord du toit et rejoint une silhouette accroupie sur la passerelle des machinistes.

Evania reprend sa place sous ma clavicule gauche et je me redresse. Trois mètres sous moi exactement, Lisa est debout, toujours tournée vers la tribune présidentielle, attendant que la fumée rouge ait fini de se dissiper. J'échange un regard avec Lenni, posté en contrebas. Depuis le début, il a compris.

Alors moi, le vrai moi, pas l'illusion créée par Evania que j'ai manipulée comme un pantin, s'avance au bord du vide et se laisse tomber droit sur Lisa.


Est-ce que j'ai oublié de publier le chapitre hier soir ? Peut-être. Est-ce que j'étais à cheval à l'heure où j'étais supposé le publier ? Peut-être. Toutes mes confuses.

IMAGOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant