17/ Comment tout détruire.

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 Le stade du Yam ASC observe une minute de silence et de recueillement. Il est dix-huit heures, et le match contre Lille va débuter. Depuis le banc, je vois l'immense tifo que les supporters ont déployé dans les tribunes.

Formé d'une multitude de carrés noirs et blancs tenus à bout de bras par les spectateurs, on peut voir le visage souriant de Joe. Sur la pelouse, Yann, droit comme un I, son brassard de capitaine au biceps gauche, applaudit avec tout le stade au coup de sifflet de l'arbitre.

Le visage fermé, il se dirige vers le rond central pour saluer le capitaine adverse. Julian saute sur place, Kev' relace sa chaussure et Lucas défie ses adversaires du regard. Debout devant le banc des remplaçants, Rupert, mains dans les poches, attend, lui aussi.

On joue gros sur ce match. En comptant celui-ci, il ne reste que trois rencontres avant la fin de la saison, et la première place nous revient toujours, malgré l'AS Junel sur nos talons. Il ne faut pas leur donner une occasion de recoller.

Je me carre dans mon siège, amer. Je paie mon attitude de l'autre jour en étant mis de côté, comme je le prévoyais. Rupert m'a annoncé froidement que je serais remplaçant, sans justification, et que Carlos jouerait à ma place. Je m'y attendais, mais ça ne m'a pas empêché de ressentir une colère nauséeuse.

Rupert ne m'aime pas, pas du tout. Il préfère saborder ses chances de victoire plutôt que de me faire jouer. Pourtant, il m'a fait entrer les fois précédentes, quand il n'avait plus d'autre solution.

Ce soir, nous ne sommes que quatre sur le banc : Tim, Antonin, Pedro et moi. Angel s'est fait une élongation, Ronny s'est débrouillé pour attraper une grippe, Quentin souffre d'un hématome au mollet. Si Rupert veut utiliser ses quatre changements, il sera obligé de me faire entrer.

L'arbitre porte son sifflet à sa bouche et siffle le début de la rencontre, donné par l'équipe de Lille. Aussitôt, Lucas se précipite sur le porteur du ballon et le harcèle pour l'empêcher de jouer. Visiblement, Rupert lui a demandé de beaucoup défendre, car il est de notoriété publique que Lille est une équipe très offensive.

Yann intercepte une passe et le match commence véritablement.

Lille joue son maintien en première division. Théoriquement, une telle équipe est bien inférieure à nous. Mais un groupe mort de faim n'est jamais à prendre à la légère. Les joueurs sont très agressifs, les contacts rudes et le pressing éreintant. Au bout de vingt minutes, Julian est tout rouge et les courses de Lucas sont de moins en moins tranchantes. Rupert commence ses messes basses avec Luis, la main devant la bouche pour être certain que personne ne puisse espionner la conversation. Luis sort sa tablette et gribouille dessus, construisant un nouveau schéma tactique.

– Ouais ! s'écrie brusquement Tim, au moment même où la foule hurle.

Yann vient de marquer. 1-0. Rupert à l'air soulagé et reprend sa discussion avec Luis, penché sur la tablette.

Je reporte mon attention sur le terrain, où Julian se fait malmener par Gaétan Fiori, intenable sur son côté droit. Yann vient l'aider, sans parvenir à intercepter le joueur qui se libère souplement et file vers notre but. Carlos revient trop tard, beaucoup trop tard pour l'empêcher de marquer. 1-1.

La partie se poursuit, parsemée de contacts assez violents. Au moment où Kev' s'écroule, taclé au niveau des genoux, tout le banc du Yam ASC – moi y compris – se lève comme un seul homme, tandis que Yann fond sur l'arbitre en vociférant. Le joueur coupable prend un simple carton jaune qui ne satisfait pas du tout Yann. Kev' se relève, fait signe que ça va. L'arbitre remet le ballon en jeu.

Le match est de plus en plus débridé. Les buts s'enchaînent, et à la mi-temps, le score est de 4-3 pour le Yam ASC. Rupert n'est pas très content, il martèle qu'il faut défendre mieux que ça et sort Julian pour faire entrer Tim à sa place. Il a déjà sorti Lucas un peu plus tôt, remplacé par Antonin.

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