39/ De gré ou de force.

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 Je plante le talon de mon roller dans le sol pour freiner. Le centre d'hébergement est pareil à mon souvenir. Morne et triste.

Je sais que je ne devrais pas, mais je ne peux pas m'empêcher de chercher Lenni. Yann et Tim sont à l'entraînement. Joe, déguisée, suit le Président à la trace. Je ne compte pas rester les bras croisés jusqu'à son retour.

Je rentre dans le bâtiment qui me paraît bien plus calme que la dernière fois. Avec le retour des beaux jours, de nombreux SDF doivent choisir de dormir dehors. Un homme mal rasé descend les marches du centre d'un pas chancelant.

– Salut mon pote, t'aurais pas du feu ?

– Heu, non.

Il s'éloigne en clopinant. Je traverse le hall et monte à l'étage.

Deux femmes disputent une partie de cartes animée, assises en tailleur sur le lino. Je les aborde sans précautions particulières.

– Excusez-moi, vous n'auriez pas vu Lenni ?

– Lenni ?

Elles hésitent. Mais la plus vieille fronce le nez.

– Attends, le petit blondinet ? Non. Il n'est plus venu depuis très longtemps.

Sa compagne lui tape sur le bras.

– Il n'a qu'à demander à Eve. Elle sait tout ce qui se passe ici.

Je les dévisage.

– Qui est Eve ?

La plus jeune tend le doigt vers le plafond.

– Tu la trouveras dans la chambre 23. Si elle n'y est pas, alors on ne peut rien pour toi.

Je les remercie et monte un étage plus haut. Je n'avais même pas réalisé que les chambres portaient des numéros. Il faut dire que la plupart sont effacés.

La porte du n° 23 est entrouverte. Je toque.

– Oui ?

Une femme à la peau noire est assise en tailleur sur le lit miteux. De longues tresses lui descendent jusqu'aux hanches et au moins six anneaux ornent chacune de ses oreilles. Ses yeux sans fond me jaugent.

– Qu'est-ce que tu veux, Tao Chantiminga ?

J'essaye de ne pas me démonter.

– Je cherche Lenni. Lenni Orlando. On m'a dit que vous pourriez me renseigner.

Elle m'observe un moment avant de répondre.

– C'est donc vrai, ce qu'on dit ? Il était avec toi ?

Le ton est traînant mais l'intérêt réel. Je me crispe. Si je veux qu'elle me parle, il faut jouer franc-jeu.

– Oui, il était chez moi.

Eve me scanne des pieds à la tête. Lentement.

– Il est parti, ou tu l'as chassé ?

Je tressaille. Pourquoi veut-elle savoir ça ?

– Il est parti. Est-ce que vous savez où il est ?

Elle ferme les yeux et bascule la tête en arrière.

– Il est passé hier. Très tard.

Elle se tourne vers moi, l'air pénétrant. Ses yeux ne sont plus que des fentes.

– Si tu veux mon avis, il est parti avec Tyler.

– Tyler ?

– Ouais. Un sale gars. Il traîne tout le temps par ici. Et hier soir, je l'ai vu avec ton Lenni.

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