31/Parce qu'on a tous besoin d'un ange.

19 1 9
                                    

 – Aaaaahoumpf !

Je réceptionne Lenni contre moi et me campe sur mes pieds pour éviter de tomber.

Nous sommes partis depuis vingt minutes et nous n'avons fait qu'un quart du chemin que j'aurais déjà parcouru si j'étais seul. Mais j'avoue qu'initier Lenni aux rollers est assez distrayant.

Il a d'abord refusé catégoriquement, prétextant qu'il avait horreur de tout ce qui roulait et qu'il n'avait aucun équilibre. J'ai insisté, en disant que j'allais l'aider, que ce serait marrant, et que s'il n'aimait pas, je le laisserai tranquille. J'ai retrouvé dans un placard une de mes anciennes paires, qui par chance lui allait, et nous voilà partis pour le parc des Amazones, situé de l'autre côté de l'avenue Kennedy.

C'est un parc de trente hectares, avec un étang, une forêt et des kilomètres d'allées pour les piétons, les rollers et les cyclistes. Par ailleurs, il est très beau.

Je redresse Lenni et lui ré-explique une énième fois comment on freine. Il hoche la tête, concentré. Malgré ses déclarations, il a l'air d'apprécier ce moyen de transport.

On repart, lui en marche avant, moi en arrière pour le surveiller.

Au bout de dix minutes chaotiques, on passe le portail du parc.

Une fois dépassée la haie de bambous, c'est comme entrer dans un autre monde. Plus le moindre son de la ville. Plus le moindre morceau de béton. Juste des collines vertes, des arbres, des fleurs, des oiseaux.

À cette heure, le parc n'est pas trop fréquenté. Quelques couples sont installés sur la pelouse, des familles se promènent, des enfants courent après un ballon en poussant des cris aigus.

Soudain, l'un d'eux pile net et tend un doigt vers moi en piaillant d'un ton surexcité :

– C'est Tao Chantiminga !

En dix secondes, une horde de gamins survoltés nous entoure.

– Tao, Tao, on peut avoir un autographe ?

– On peut faire une photo ?

– S'il te plaît, s'il te plaît !

Je lève les mains.

– Du calme. Oui.

Quelqu'un trouve un feutre. Je commence à signer divers objets (carnet, casquettes, ballon). Du coin de l'œil, je remarque que deux ou trois personnes m'observent d'un air réprobateur. En voilà qui ont dû lire l'interview de Rupert.

Lenni, que tout le monde ignore, se pose sur un banc, les bras croisés, l'air ennuyé. Au bout d'un moment assez long, la troupe d'enfants se disperse enfin.

Lenni se relève de son banc avec quelques difficultés.

– Dis-moi, tu vas provoquer une émeute tous les cinquante mètres ?

– Mais non. Il y a moins de monde, après.

Il suffit de s'enfoncer un peu plus avant dans le parc pour être immergé dans la forêt. Une forte odeur d'humus nous monte aux narines. Un geai des chênes s'envole avec un cri rauque à notre passage. Des mésanges s'interpellent. Autour de nous, des froissements de feuilles laissent deviner la présence des habitants des lieux.

Je m'arrête pour respirer profondément. Lenni, qui décidément trouve qu'il est plus simple de m'utiliser comme airbag que de freiner lui-même, me rentre dedans.

– On dirait qu'on est partis loin de la ville, commente-t-il, c'est drôle.

Je repars, en zigzagant pour l'attendre. Le soleil se fraye un chemin entre les branches et forme des taches de lumière sur le sol. Je m'amuse à les éviter tandis que Lenni s'évertue à aller tout droit, ce qui n'est déjà pas si mal.

IMAGOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant