36/Les Quartiers Sombres.

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 – Je n'aime vraiment pas ce coin, murmure Lenni, la tête rentrée dans les épaules.

Nous arpentons les Quartiers Sombres, à la recherche de l'adresse d'Oleg Kovanski. Joe m'a expliqué comment y aller, même si je me repère assez bien dans ce labyrinthe. Et Lenni a raison, ce n'est pas un endroit très agréable.

Les maisons, pour la plupart vouées à plus ou moins long terme à la destruction, sont délabrées et tristes. Sur deux ou trois étages, des balcons au bord de l'effondrement, des volets en bois à la peinture écaillée. De-ci de-là, des panneaux municipaux annoncent des travaux de rénovation et d'aménagements. Peu de vert dans les rues étroites. Il y fait inexplicablement toujours sombre.

– C'est là.

On passe devant l'immeuble de deux étages en briques rouges. Le ronflement de la centrale électrique du parc éolien flotte dans l'air. Une centaine de mètres plus loin se dressent les murs crèmes du foyer des Innocents. Sur la brèche entre la ville telle que les politiciens la veulent et celle qu'ils essayent de cacher.

Lenni observe le bâtiment, les mains enfouies dans les poches de son sweat.

– C'est là que tu as grandi ?

– Ouais.

On allait souvent se promener dans les rues. Théoriquement, c'était défendu. Mais les éducateurs fermaient les yeux.

Je sais qu'il y a un ou deux ans, des journalistes sont venus là pour un reportage. Ça devait s'appeler « Sur les traces de Tao Chantiminga » ou quelque chose d'approchant. Au foyer, ils étaient fiers de raconter comme j'étais gentil, mignon et déjà teeeeellement doué avec un ballon. Comme s'ils essayaient de s'approprier le mérite de ma réussite.

La vérité c'est que je n'ai pas touché un ballon avant l'âge de onze ans.

Je me détourne et balaie les alentours du regard. Personne en vue. Lenni et moi nous tassons sur un banc, au milieu d'une aire de jeu déserte. Je pose un doigt sur mon oreille pour activer mon oreillette.

– Joe ? Tu m'entends ?

– Parfaitement, Tao.

Joe est restée dans l'appartement de Madame Rodriguez, où elle a passé la nuit. Elle supervise les opérations de loin, le plan aérien des Quartiers Sombres sous les yeux. Vive la technologie.

– On est passés devant chez Kovanski. Personne en vue.

– OK. Je pense que de ces heures, il doit être à son travail. Continuez et allez à l'autre adresse. Il faut que vous connaissiez les lieux stratégiques.

Le ton est un peu raide, hésitant. Hier, avant que je la laisse après l'avoir installée, elle m'a demandé si je pourrais un jour lui pardonner. Je n'ai pas su répondre. Je ne sais toujours pas.

Je repars, Lenni, qui ne cesse de jeter des coups d'œil anxieux derrière lui, sur mes talons.

On croise deux personnes, un couple qui ne nous accorde pas la moindre attention. Quelques chiens efflanqués traînent dans les rues. Des chats se prélassent dans les taches de lumière. Un peu plus loin, les maisons se rehaussent d'un étage. Résultat, les rayons du soleil n'atteignent même plus le fond de la rue. Au sol, des pavés remplacent le goudron. Entre les galets disjoints, de petites fleurs parviennent à pousser.

Je compte les numéros. 1266, 1267, 1268... 1274. C'est là.

– Joe ? On est devant le n°1274. Qu'est-ce qu'on fait ?

– Ce serait bien de vous trouver une planque pas loin pour la surveiller.

– OK. On va chercher.

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