7/ Plus de passe-droit.

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- Bon, les gars, sur ce, la causerie est terminée. Bon match à vous.

Rupert passe dans les rangs pour taper dans nos mains. Depuis le vestiaire visiteur de l'AS Junel, on entend la clameur sourde des quelque trente mille spectateurs venus soutenir leur équipe. Quand Rupert me tend la main, j'hésite à lui rendre son salut. Une seconde seulement. Mais il s'en aperçoit et me lance un regard perçant.

- Pas de ça, Tao.

Je serre les dents, crispé. J'ai encore en tête ses derniers mots.

« Soyez des hommes. » Des hommes. Soyez forts. Comme des hommes. J'ai un goût amer dans la bouche. J'ai la désagréable impression que ce discours est destiné à nous faire comprendre que les femmes n'ont pas leur place ici. Que Joe n'a pas sa place ici.

Être un homme ne prédispose en rien à être fort. Il suffit de regarder Luis pour s'en convaincre.

Je remonte la fermeture Éclair de ma veste aux couleurs du Yam ASC. Je débute sur le banc des remplaçants. Dans un premier temps, je l'ai un peu mal pris, mais avec les quatre changements autorisés, je devrais entrer en milieu de match. Je traîne des pieds derrière Kev', Antonin, Ronny, Quentin et Lucas jusqu'au banc.

Le stade est impressionnant. Le club de l'AS Junel est en embuscade juste derrière nous pour le titre de champion, ils ont seulement deux points de retard. Si nous ne voulons pas qu'ils nous rattrapent, nous avons intérêt à gagner ce soir.

Rupert a donné le brassard à Yann, qui est l'un des capitaines réguliers, avec Angel et moi. C'est la short-list de Joe. Les meilleurs joueurs, les leaders. Normalement, je viens en premier sur cette liste.

L'arbitre de la rencontre siffle le coup d'envoi, donné par le Yam ASC, en la personne de Julian. Le public le hue copieusement. Ce stade est réputé pour son ambiance chaude, et là, je crois que je ne l'ai jamais vu aussi plein. C'est parti pour deux fois trente minutes.

Devant le banc, Rupert gesticule à l'attention de Tim, qui ne comprend manifestement rien à son charabia. C'est un jeune joueur, je suis presque toujours derrière lui sur le terrain. Il n'est pas aussi expérimenté que moi, aussi, je le replace sans arrêt. Mais là, il est perdu, je le vois dans ses yeux, lorsqu'il les tourne vers le banc.

Luis se lève et parle à Rupert à voix basse. Celui-ci hoche la tête et entreprend de reformuler ses consignes. Tim semble comprendre et va se placer entre les deux axiaux adverses. Yann prend la situation en main et passe le quart d'heure suivant à le surveiller.

À côté de moi, Kev' ronge son frein.

- Ils vont finir par marquer, grommelle-t-il, parlant de l'AS Junel. Regarde, Julian laisse beaucoup trop d'espace.

Il a raison. Déstabilisé par l'organisation très offensive de Rupert, Julian oublie de redescendre défendre une fois sur deux. Une fois de trop.

- Et merde, grogne Ronny en voyant le ballon atterrir dans nos filets, tandis que le stade rugit.

Diego Camano vient de mettre un but magnifique, en enrhumant totalement mon pauvre Tim, qui a presque attrapé un torticolis en essayant de suivre le joueur des yeux. Yann hurle sur Julian, dont le visage vire au rouge foncé. Rupert gribouille quelque chose sur sa tablette. Luis commence à se ronger les ongles.

Dans la fumée des fumigènes, la mi-temps arrive avec un score de 1-0 pour l'AS Junel, ce qui est miraculeux, vu la façon dont nous sommes dominés. Rupert décide de sortir Angel.

- Quoi ?

Angel n'en croit pas ses oreilles.

- Coach, proteste poliment Yann, vous ne devriez peut-être pas faire ça. Il est l'un des meilleurs sur le terrain, si on veut gagner, on a besoin de lui !

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