Il fait nuit noire. La maison de Lisa est sous mes pieds. J'ai dû me résoudre à remonter sur les toits. Me promener dans les rues était trop dangereux.
Un bras en balancier, je m'accroupis sur la corniche du toit d'ardoise. Je vais entrer par le grenier, comme la dernière fois.
Je n'ai pas de lampe. Je tâtonne dans le noir jusqu'à la trappe.
Je me glisse dans l'ouverture. Elle est étroite, mes épaules passent tout juste. Je descends l'échelle en essayant de ne pas faire grincer les barreaux. À cet étage, pas de lumière, tout semble dormir. Mais en arrivant au sommet de l'escalier, je vois une lueur dans le couloir du premier.
Plaqué contre la tapisserie, je me glisse jusqu'à la porte entrouverte d'où filtre la lumière. Un coup d'œil dans la fente. C'est une chambre spacieuse, meublée d'un grand lit à baldaquin. Assise sur le rebord du lit, dos à la porte, il y a Lisa.
Elle est penchée sur un petit livre. Je n'ose plus respirer, de peur qu'elle m'entende. Mais elle ne bouge pas. Je recule doucement.
Evania crie mon idée dans ma tête au moment où je la pense : « C'est l'occasion de mettre le nez dans ses affaires ! »
Je reprends l'escalier et atteins le hall. Selon mes souvenirs, le bureau de Lisa – du moins, la pièce qui semble lui servir de bureau – se trouve sur ma gauche. Pas de lumière. Je me faufile dans la pièce et referme la porte sans bruit. « Allume ! » réclame Evania. J'hésite un moment, mais les volets sont fermés, la porte aussi. J'actionne l'interrupteur.
La pièce s'illumine. C'est bien un bureau. Une grande armoire prend les deux tiers du mur de gauche, des tableaux sont accrochés sur celui de droite. Au fond, une fenêtre encadrée de lourds rideaux. L'ensemble est chaleureux.
Que chercher ? Je ne le sais même pas. Le seul indice que j'aie, c'est une intuition complètement folle.
J'ouvre l'armoire. À l'intérieur, des papiers, diverses boîtes et des dossiers, étiquetés de gros « N°1 », « N°2 », etc. Sans doute les registres des maisons que Lisa gère et possède. Il y en a douze en tout. Je tends le bras pour en prendre un. Le n°5. Sur la première page, un plan des Quartiers Sombres indique l'emplacement de la maison. Puis des fiches, avec sur chacune un nom, un prénom, une photo et des informations utiles sur les « employés » :
Marianne Alsono. Née en le 2 février 2045. Française. Date d'embauche ; le 14 juin 2062.
Plus de femmes que d'hommes, apparemment séparés par étage, mais pas forcément par maison. Je referme le registre et le repose sur l'étagère. Tout ça me dégoûte, mais ne me sert à rien.
C'est à ce moment seulement que je les entends. Les voix.
J'éteins la lumière et plonge derrière l'armoire, entre le mur et le rideau. Une seconde plus tard, la porte du bureau s'ouvre et Lisa entre.
Elle n'est pas seule. Oleg est avec elle. Il semble surexcité.
– C'est bien vrai ?
– Comme je te le disais, Oleg. Enfin.
Lisa va tout droit ouvrir l'armoire où elle prend le registre n°7. Elle le contemple un instant puis le pose sur le bureau en déclarant :
– Je m'en occuperai demain à la première heure. Dans le même temps, il faudra que tu ailles leur dire qu'ils peuvent s'écraser.
De quels « ils » parle-t-elle ? Oleg semble le savoir.
– Je ne peux pas leur dire par téléphone, comme d'habitude ?
Lisa s'assied et croise les jambes.
– Non. Il a été espionné sur son smartphone, il pourrait l'être encore. Je n'ai pas confiance. Je préfère les vieilles méthodes qui ont fait leurs preuves. Un SMS et le lieu habituel. Tu lui dis que c'est terminé, mais qu'à la moindre entourloupe...
Lisa n'achève pas sa phrase mais ses propos sont sans équivoques. Oleg sourit et donne un coup de menton sur sa droite.
– Et le... Tu le gardes ?
Le regard de Lisa suit brièvement la direction qu'indique Oleg.
– Oui. Ils nous doivent encore de l'argent.
Oleg sort, son smartphone déjà à la main. Lisa effleure délicatement le registre posé sur le bureau avant de le suivre, un sourire étrange sur les lèvres.
La pièce est replongée dans le noir.
J'éteins la caméra et attends un long moment, recroquevillé dans l'angle du mur. Je veux être sûr qu'elle ne reviendra pas. Puis, quand je n'entends plus le moindre bruit, je rallume la lumière et me plante devant le mur aux tableaux.
– Il y a quelque chose là-derrière.
Je me dirige vers la plus grande toile, une peinture abstraite qui pourrait représenter un coucher de soleil. J'hésite, puis attrape le cadre à deux mains. C'est léger. Et derrière, une porte en fer de cinquante centimètres sur cinquante.
« Un coffre-fort ! » piaille Evania.
Elle a raison. Un coffre-fort avec une serrure à code. Code que je n'ai pas.
– Zut.
Mon regard tombe sur le registre n°7. Me détournant du coffre, je l'ouvre. C'est celui de la maison la plus au nord, qui selon le registre, est ouverte depuis 2037. Est-ce que c'est là que Lisa veut m'envoyer ?
Je revois son sourire étrange, ses doigts qui caressent la couverture. Si mon intuition est bonne...
Je commence à le feuilleter fébrilement. Je sais ce que je cherche. Les noms sont classés par ordre alphabétique.
Moins d'une minute plus tard, j'ai trouvé. Je sors la fiche et lis en essayant de faire abstraction de mon cœur qui cogne contre mes côtes.
Oumarani Chantiminga. Née le 24 novembre 2019 (dcd le 30 juillet 2041). Pakistanaise. Date d'embauche ; le 29 avril 2039.
Deux ans jour pour jour avant ma naissance. Malgré moi, je craque. Je coule un coup d'œil vers la photo, dans le coin supérieur droit de la fiche.
Les yeux que je croise sont les miens. À la nuance près. Le visage est beau, harmonieux, avec des pommettes assez hautes et la mâchoire bien marquée. Une cascade de cheveux noirs et ondulés tombent sur les épaules. L'expression est déterminée. Que pensait-elle à ce moment-là ?
Je m'arrache à la photo et fixe la date en dessous. Le 29 avril 2039. 29/04/39. Se pourrait-il ?
Je me retourne vers le coffre-fort et tends une main tremblante en direction du bouton d'allumage du clavier. Sur l'écran tactile, une réclamation s'affiche : « tapez votre code ».
J'avance un doigt vers le 2. M'immobilise. Lisa n'est pas si évidente.
Mon doigt se pose résolument sur le 3. Puis sur 0, 0, 7, 4, 1. L'écran s'illumine en vert et un claquement discret m'avertit que la porte s'est déverrouillée.
Qu'est-ce qui a le plus d'importance pour Lisa ? Pas le moment où elle obtient ce qu'elle veut, mais quand cette chose lui échappe. Le jour où ma mère lui a échappé définitivement.
Je tire sur la poignée du coffre-fort. À l'intérieur, il y a deux étagères. Sur celle du bas, une importante somme d'argent liquide en coupures de cent, liées par dix ; sur celle du haut, des papiers et un dossier rouge. Je m'en saisis délicatement. Dessus, calligraphié en noir : Yam ASC.
Je l'ouvre. Je sais déjà ce que je vais trouver à l'intérieur.
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IMAGO
Mystery / Thriller2067. Dans un monde qui a échappé de peu à l'apocalypse, Tao est un joueur d'acrofoot riche et célèbre. À part quelques articles de presse people, rien ne perturbe sa vie bien rangée. Sauf que Tao a des secrets, et qu'il suffirait de pas grand-chose...