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52 (2/2)/ Le point de non-retour.

 Je suis furieux. Contre cette journaliste, contre Terry qui a voulu que je vienne à son interview, contre moi qui ai accepté et ne suis même pas capable de garder mon sang-froid. Je traverse le hall en bousculant les gens qui l'encombrent et passe les portes automatiques en trombe. Dans la rue, ma Golian m'attend. Je démarre, mon smartphone sonne et je fais l'erreur de décrocher.

– Tao ? s'enquit la voix angoissée de Xavier Terry. On vient de me dire que vous avez quitté la salle d'interview sans explication, sur un coup de tête. Que s'est-il passé ?

Je crache :

– Demandez-leur, ils seront ravis de vous raconter à quel point je suis imprévisible et colérique.

Je raccroche. J'en ai par-dessus la tête de leurs regards mi-compatissants mi-indulgents ou de leurs paroles venimeuses. J'en ai assez de ces remarques pleines de sous-entendus, de ces questions sournoises. Je veux juste qu'on me fiche la paix. Je ne veux plus être une bête curieuse. Je veux jouer à l'acrofoot, et ne pas réfléchir sans cesse à ce que je dois dire ou faire pour éviter les vagues. Je ne veux plus qu'on me montre du doigt en ricanant quand je passe dans la rue.

Ma peau me picote mais Evania ne se montre pas. Étrange. Je freine en arrivant à un feu rouge, malgré mon envie de le griller.

Je suis un imbécile. J'avais une occasion de faire taire tout le monde et je l'ai réduite à néant. Terry doit être catastrophé. Tim et Yann en entendront sans doute parler. Joe aussi, et elle va vouloir me raisonner.

Le feu passe au vert. Je ne bouge pas. Derrière moi, les conducteurs manifestent leur mécontentement à grands coups de klaxon. Les voitures me doublent.

Joe ne me comprend plus. Je ne suis plus exactement le même homme que celui qu'elle a laissé derrière elle quand elle a entrepris de disparaître. En « mourant », elle a coupé le lien. Je ne pense pas que nous puissions le renouer. Je ne suis même plus sûr d'en avoir envie.

Le feu passe au vert pour la deuxième fois. Je redémarre et quitte le boulevard.

Le ciel est surprenant, cet après-midi. Les nuages ont une teinte orangée, flamboyante. La couleur se reflète dans les immarbres et on dirait que la ville entière s'embrase.

Je m'engage sur l'avenue Kennedy.

La rue de la Lune Bleue n'est plus qu'à deux cents mètres quand Evania apparaît brusquement sur le siège passager.

– Ne t'affole pas, surtout.

Je lui lance un regard surpris.

– Pourquoi je m'affolerais ?

Une seconde plus tard, je comprends. Il y a les pompiers dans la rue de la Lune Bleue.

Un camion de secours, plus une voiture de police. Evania lisse sa robe de satin et lâche sentencieusement :

– Lenni a sauté par la fenêtre.

J'ai un haut-le-corps et la voiture fait une embardée.

– Quoi ?

Evania agite les mains dans une attitude d'apaisement.

– Ne t'inquiète pas, j'ai freiné sa chute. Mais je l'ai lâché à un mètre du sol, histoire que ça lui serve de leçon.

– Je vais le tuer.

– C'était bien la peine que je me donne tout ce mal, alors, marmonne Evania en se dissolvant dans un petit tourbillon de poussière rouge et dorée.

Je me range le long du trottoir. Le camion de pompiers est garé en travers de la rue. Je me fraye un passage et aperçoit Lenni, pâle et silencieux, appuyé contre le mur. À trois mètres de lui, un pompier qui mesure presque le double de sa taille et Adolphe débattent. Aucun des deux ne semble comprendre un traître mot de ce que l'autre dit.