13/ Plus que personne au monde

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 La haute façade blanche du crématorium reflète les dernières lueurs du jour. Sur le parvis, une petite foule est rassemblée, silencieuse, recueillie. Toutes les personnes qui aimaient Joe sont ici, habillées de noir, muettes devant le sinistre bâtiment.

Je descends de voiture, m'avance, et le silence se fait encore plus assourdissant, si c'était possible. Les rares chuchotements s'arrêtent, de mornes regards se tournent vers moi, me scrutent, à mesure que j'avance. J'ai l'impression de fendre un rideau opaque et tiède.

Les employés des pompes funèbres sortent le cercueil du corbillard et le portent en direction des lourdes portes du crématorium. Je monte les marches du perron, sans oser les regarder. Je glisse une œillade vers la droite, aperçois Tim, au côté de Yann et Julian. Madame Rodriguez est là également, ainsi que Luis, qui est blanc comme un linge.

Je m'arrête et attends les autres qui gravissent les marches à leur tour. Je ne veux pas entrer seul. Je sais ce que ça représenterait. Yann, Tim et Julian me rejoignent. Je recommence à marcher, ferme les yeux, laisse Yann me guider, une main sur mon bras. Et j'essaye de ne pas entendre les murmures dans mon dos.

– C'est Tao. Tu sais, le gamin que Joe avait pris sous son aile...

– Il a grandi... (Je reconnais la voix grinçante de la grand-mère.)

– Mémé (Cette fois, c'est Harmy, la sœur de Joe.), la dernière fois que tu l'as vu, il avait treize ans.

– Ouais, un petit vagabond. Quelle idée de s'en encombrer !

– Joe le considérait presque comme son fils, vous savez, Mémé. (Je crois qu'il s'agit du mari de Harmy.)

– Pourquoi n'a-t-elle pas trouvé un gars et fait des enfants, comme tout le monde ? grommelle encore la voix de la grand-mère.

– Mémé (La voix de Harmy se casse un peu.), elle ne voulait pas.

– Eh bien, elle aurait dû. Sa mère...

– Mémé, ne parle pas de Maman, s'il te plaît.

Un bref silence.

– Quel âge a ce jeune homme ? reprend la grand-mère, et je suppose qu'elle parle toujours de moi.

– Il doit avoir environ vingt-cinq ans, maintenant.

Je m'assieds sur un banc du premier rang, Tim, Yann et Julian me rejoignent. Le banc est un peu petit, on se retrouve serrés les uns contre les autres, mais ça me réconforte. Yann se débrouille pour dégager son bras gauche et me serrer amicalement l'épaule. Julian a les yeux rouges et les traits tirés, comme Tim. Celui-ci est venu seul, il a dû refuser que Camille l'accompagne, ou bien ils sont encore fâchés. Luis s'installe dans un coin et se mouche discrètement.

Joe était chrétienne, comme moi, et elle voulait une cérémonie religieuse.

Le prêtre, un petit homme grassouillet au visage rose, écarte les bras et parcourt l'assemblée du regard, l'air grave :

– Nous sommes tous réunis ici ce soir pour dire au revoir à une personne d'exception, Joana Kester. Joana nous a quittés trop tôt, à l'âge de quarante-cinq ans. Elle mena pourtant une vie riche et pleine. Elle a passé les dernières années de sa vie en tant qu'entraîneure de l'équipe du... (Il se penche vers la droite en direction de son pupitre.) Yam ASC.

Je risque une œillade vers la famille de Joe. La grand-mère est assise tout avachie sur son banc, et j'ai l'impression qu'elle s'endort. Harmy se tient droite, grave, et en cet instant, elle ressemble énormément à sa sœur. À côté de leur fille, une adolescente d'une douzaine d'années, son mari arbore une mine sérieuse, les mains croisées sur ses genoux, les yeux rivés sur le prêtre. Ce dernier poursuit :

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