51 (1/2)/ Fils de p*te.

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 Je remonte l'avenue Albert Giraud à toute vitesse sur mes rollers. Le soleil est sur le point de se coucher, et il n'y a plus beaucoup de monde dans les rues. J'aime bien, comme ça, je peux aller plus vite.

J'ai quasiment dû séquestrer Lenni chez moi pour qu'il accepte de se reposer. Il a fini par céder, mais en grognant. Je m'en fiche, il ne peut pas nier d'être fatigué, il n'arrivait même plus à porter Bowie sur son bras. Je lui ai dit que j'allais faire un tour et qu'il n'avait pas intérêt à mettre un pied dehors. J'ai ordonné à Bowie de le surveiller, et je suis presque sûr qu'il va le faire.

Je garde les yeux fixés sur le sol devant moi, mais ça ne suffit pas à ignorer le reste. Sur le panneau numérique d'un kiosque, un journal se pose des questions existentielles sur moi. Suis-je un héros ou une catastrophe ? Personne ne saurait le dire, on dirait. Mais en l'absence de réponse, personne ne prendra vraiment la peine de me défendre. Sauf Joe, mais elle refuse de donner une interview pour le moment. Et Terry, mais lui personne ne l'écoutera.

Un peu plus loin, je passe devant un groupe de jeunes assis en deux étages sur un banc. J'essaye de fermer hermétiquement mes oreilles, mais c'est peine perdue.

– Eh, regarde, regarde ! C'est Tao !

– Chantiminga ?

– Le mec qui s'est descendu lui-même ?

– Ouais. Le gars qui vient du fond du fond et qui essaye de faire croire qu'il s'en est sorti. Mais on n'en sort pas. Il va vite s'en rendre compte.

– En tout cas, il peut dire adieu à l'Euro. S'il est appelé, je ne supporte plus la France.

On dirait qu'ils font exprès de parler fort pour que je les entende. « Ne les écoute pas, ordonne Evania, ne les écoute pas ! »

– Au fait, on sait qui vit avec lui ?

– Ça dépend des versions. Soit c'est une fille super-canon, blonde et tout, un mannequin sûrement, soit c'est le psychopathe que la Présidente a gracié. Peut-être les deux.

– Le psychopathe ?

– Un SDF, un toxico, ou encore mieux, un des employés de Norwitch. Il est capable d'en avoir pris un en pitié. À moins qu'il prépare sa reconversion.

« N'écoute pas, n'écoute pas, n'écoute pas. »

– Il a toujours juré qu'il ne connaissait pas sa mère, finalement, il a menti ?

– Évidemment qu'il a menti, tu imagines si on avait su dès le début ? On ne peut pas lui faire confiance. Ce mec n'est pas sûr, il suffit de voir les catastrophes qu'il déclenche sur son passage.

Je m'éloigne et leurs voix se dissolvent dans le vent.

Alors, c'est ça qu'on pense ? Je suis un menteur, un gars des Quartiers Sombres, condamné à retomber dans la boue à chaque pas, un mec à la dérive qui coule peu à peu ?

Il y a déjà eu des histoires comme ça, des stars qui ont craqué sous la pression, qui ont perdu la tête, se sont suicidés ou ont disparu. Et le public, derrière un masque de compassion, s'est délecté de la lente chute de ces gens qui n'avaient rien demandé à personne. Ils se sont petit à petit retrouvés enchaînés à leurs paroles, à leurs actes. Ils ont baissé la tête, les bras. Et on les a oubliés.

Est-ce que c'est ce qui est en train de m'arriver ? Je vais devenir fou, parano, me renfermer et finir seul, sans plus personne ?

Je rentre au hasard dans un café inconnu.

Il y règne un brouhaha assourdissant. Je fais quelques pas, cherche une chaise libre. Puis soudain, l'homme debout derrière le comptoir me voit et se fige. Un par un, les clients cessent leur activité et se tournent vers moi. Les conversations s'arrêtent.

Le patron pose le verre qu'il était en train d'essuyer et pointe un double menton dans ma direction :

– Qu'est-ce que tu veux ?

– Boire quelque chose. Nous sommes dans un café, non ?

Il prend un air menaçant.

– Je ne veux pas de toi dans mon café. Fiche le camp.

– Vous n'avez pas le droit.

Il frappe du poing sur le comptoir.

– Oh que si. Tu vas faire fuir ma clientèle. Tu ne sais pas ce qu'on raconte sur toi ?

Je fronce les sourcils.

– Bien sûr que si. On raconte toujours un tas de trucs sur moi.

– Oui, mais rarement des trucs aussi moches. Et je n'ai pas le temps d'aller vérifier qui dit la vérité, toi ou les autres.

Je serre les poings et avance sur le plancher ciré.

– Le Yam ASC est coupable, vous le savez aussi bien que moi ! Je n'ai fait que montrer ce qu'ils cachaient !

Il agite son torchon.

– Je ne doute pas que ton club ait fait des choses parfaitement illégales, et je ne dis pas que tu aies menti là-dessus. Mais le reste, mon garçon, le reste.

Le reste.

– On dit que tu abrites des assassins chez toi, c'est pas vrai ?

– Lenni n'est pas un assassin.

La phrase m'a échappé avant que j'aie eu le temps de penser à ne pas la dire. L'autre a un rictus triomphant.

– Alors c'est vrai, tu gardes cet énergumène chez toi. C'est du propre. Je sais qu'il a été acquitté, mais la place de ce genre de lascars est dans la rue, pas chez des gens comme toi. Si tu veux que le public te prenne un tant soit peu au sérieux et te manifeste un peu de respect, montre l'exemple !

Il ponctue sa tirade d'un grand coup de torchon sur le comptoir. Dans la salle, les clients commencent à murmurer.

– Viens, dit une femme à sa fille, on s'en va ma chérie...

Je respire profondément. Ne pas perdre mes nerfs. Surtout, ne pas perdre mes nerfs.

– Vous ne savez rien de ma vie.

– Si, j'en sais suffisamment. Ta mère était une prostituée, un parasite de plus, tu as trempé, tu trempes et tu tremperas toujours dans ce milieu moisi. Je me fiche de savoir que Lisa Norwitch soit morte, elle n'est sans doute pas la seule. Et ton copain, que ça te plaise ou non, il l'a tuée. Comment appelle-t-on les gens qui en tuent d'autres ? Des assassins. Des meurtriers. Alors maintenant, Tao Chantiminga, avec tout le respect que je peux avoir pour toi, tu sors de mon café ou j'appelle les flics pour leur dire que tu es venu mettre le bordel. Et là, je peux te dire que ce sera le début de la fin pour toi.

Je déglutis. Ses mots me font autant d'effet que s'il m'avait jeté des pierres.

Comme un automate, je pivote lentement sur mes rollers et glisse hors du café.

– Fils de pute.

L'insulte me glace le sang. Celui qui l'a lancée est un homme d'âge mûr, assis près du baby-foot. Il ne l'a pas dite fort, juste assez pour être sûr que je l'entende. Il me fixe, un petit sourire satisfait sur le visage.

Ma gorge est sèche. Je ne peux rien répondre. Je ne peux rien répondre, parce que c'est vrai.


Je censure de moi-même ce titre, plutôt que d'attendre que wattpad me grille. Mais je le laisse dans le texte, on verra.

Je voulais publier hier, mais finalement j'étais trop morte et j'ai oublié.

IMAGOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant