Prologue

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« La neige immaculée, dans mon ciel, sur ma terre,

Nous promet la sécurité d'un long hiver,

Isolés enfin de nos cruels adversaires.

Ô Hiemis, puisses-tu entendre nos prières ! »

– Kwon Yeonsu, Vie et mort des Cinq Peuples.



Les cieux enténébrés couvaient la vallée enneigée sur laquelle la lune dardait un regard d'un éclat indolent. Le silence vespéral avait laissé place à la disharmonie nocturne qui mêlait les mugissements des vents hyperboréens sur les hauteurs et le crissement pâle de la neige sous les pattes d'un audacieux mammifère. L'atmosphère de cette nuit de février étranglait de ses mains glacées les cols qui se perdaient dans la brume, et quelques plantes contemplaient le firmament.

Sous cette voûte reposait un paisible village habitué aux températures extrêmes. Des maisons s'amassaient çà et là, édifices de pierre renforcée par un enduit isolant d'une redoutable efficacité et qui ne comportaient aucune fenêtre. Quelques milliers de personnes habitaient là dans une promiscuité qui réchauffait tant les corps que les cœurs. De rares bâtisses étaient construites à l'écart des autres, tout près d'une immense paroi de roche que formait le plus haut pic de la longue chaîne de montagnes. Jamais quiconque n'en avait vu le sommet ni ne s'était risqué à l'escalader. D'aucuns prétendaient que le gravir reviendrait à atteindre les dieux phénix eux-mêmes.

Figé dans le temps, ce lieu immémorial connaissait une tranquillité que chérissait le peuple qui y vivait, en harmonie avec une nature peu généreuse mais qu'ils avaient appris à utiliser à leur avantage. Ils avaient trouvé un équilibre idoine qui leur offrait une vie calme dont ils jouissaient avec sagesse.

Par conséquent, dans cet empyrée, les guerriers affectés à la surveillance nocturne ne craignaient rien d'autre que l'intrusion de quelque animal égaré à la recherche de sa pitance. Éclairés par les lanternes qui signalaient l'entrée du village, ils songeaient, perdus dans leurs pensées.

Quand la neige ploya sous un pas lourd, ils crurent d'abord à un ours ou bien à un loup, rares mais parfois capables de monter à de pareilles hauteurs, surtout au cœur de l'hiver. Le silence redevint complet, et une étrange tension écrasa soudain les lieux, plus pesante qu'à l'accoutumée. Les trois jeunes gens, habitués à communiquer par signes au beau milieu de la nuit, échangèrent des regards circonspects pour les uns, soucieux pour les autres. Leur instinct leur soufflait de ne pas relâcher tout de suite leur vigilance. L'un d'eux, même, pointa sa lance en direction de la pénombre, le cœur palpitant d'une angoisse qu'il jugeait irrationnelle mais qui le prenait aux tripes. Ses yeux d'un bleu céleste plissés à la recherche d'une silhouette familière dans l'obscurité, il déglutit alors qu'une des mèches de ses cheveux presque blancs se laissait taquiner par les vents. La tension atteignait son paroxysme.

Les soldats eurent à peine cligné des paupières que deux d'entre eux s'écroulèrent, le front planté d'un couteau de lancer. Le troisième reçut le projectile dans l'épaule. Lui que la stupéfaction tétanisait d'ordinaire, cette fois il prit la mesure de ce qui se passait et, sans hésiter, il porta deux doigts à ses lèvres et poussa le sifflement le plus puissant possible, strident au point qu'il déchira la quiétude des lieux.

Il s'effondra, une pointe fichée au fond de la bouche, projetée avec une force telle qu'elle lui avait au passage brisé plusieurs dents.

L'alerte donnée, tout le village se réveilla... trop tard néanmoins. Des troupes inconnues – plus personne ici n'avait vu d'autres peuples depuis près de cinq siècles – se déversaient dans les ruelles, courant continu qui fracassait les portes et assassinait ou capturait tous ceux qui se dressaient sur son chemin.

L'œil du Phénix [Yoonmin/Namjin]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant