Chapitre 54

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« De tous temps la magie a fasciné et émerveillé les hommes, mais comme l'or, ce qui fascine et émerveille finit toujours par pervertir. »

– Ji Sangpo, De la magie.


La nuit s'apprêtait à tomber quand les troupes du général Park firent halte. Le jeune homme avait insisté pour que les soldats poussent leurs efforts jusqu'à une colline qu'il avait désignée quelques heures plus tôt comme l'endroit où il voulait absolument s'arrêter. Il s'y trouvait en effet un plan d'eau où chacun se réjouit de boire : bien qu'ils aient quitté le reg, ils n'avaient pas encore atteint la chaîne des Neraï. Le coteau au pied duquel ils se situaient prouvait que leur ascension débuterait dès le lendemain.

« Les montagnes ne m'ont pas l'air très hautes, remarqua Yoongi en jetant un œil devant eux alors qu'il montait la tente avec Jimin. Est-ce parce que l'obscurité m'empêche de voir ?

— Les Neraï, lorsque l'ont vient de l'ouest, ne semblent en effet pas très effrayantes, mais c'est essentiellement parce que jusqu'au lac Kéïani, il est davantage question de collines et de petits sommets que de pics. Nous grimperons tranquillement pendant quelques jours avant de devoir abandonner les chariots voire les chevaux.

— Passerons-nous par le lac ?

— Non, trop de villages de pêcheurs s'y trouvent, une étape ici serait stupide. Notre but est d'éviter au mieux tout contact avec les civils. »

Yoongi approuva d'un hochement de tête. Alentour, la végétation revenait peu à peu depuis que les troupes avaient quitté le canyon, et quoique l'atmosphère demeure lourde, l'air était devenu plus respirable. Quelques arbres leur avaient même prodigué un peu d'ombre sur le chemin, tandis que de l'herbe accueillait désormais les pas des montures. Des buissons épars apparaissaient çà et là, la vie semblait de retour. Le désert de roche en effet avait paru à Yoongi digne d'un lendemain de guerre, anéanti, désolé et ruiné. Il préférait de loin la verdure.

Alors qu'ils terminaient d'établir le camp, les deux amis furent surpris par des éclats de voix qu'ils suivirent pour découvrir que deux soldats disputaient, joute verbale agrémentée de bon nombre d'insultes qui sidérèrent le Phénix, habitué à un parler bien plus soutenu. Jimin pour sa part, sans se départir de l'impassibilité qu'il revêtait chaque fois qu'il se glissait dans la peau du général Park, s'avança jusqu'aux deux duellistes qui se turent aussitôt.

Il suffisait de regarder les fautifs pour deviner la raison de leur rixe : l'un possédait de courts cheveux noirs, l'autre de longs cheveux châtains.

« Puis-je savoir de quoi il est question, messieurs ?

— Mon général...

— Parlez, soldat.

— Il m'a insulté, il a traité les Arixiens de pigeons.

— Qu'avez-vous à dire pour votre défense ? s'enquit Jimin en se tournant vers le Tyfodonien.

— Il me toisait avec un tel air de mépris que je lui ai demandé de regarder ailleurs. La conversation s'est envenimée, et je l'ai en effet insulté. »

Les deux hommes, bien qu'au garde-à-vous, gardaient les yeux rivés au sol, conscients de leur faute. Le général les observa l'un après l'autre. Chacun approchait la trentaine, et Jimin se désespérait de leur immaturité. Il retint le soupir qu'il brûlait de pousser.

« Puisque vous êtes incapable de discuter de façon posée et aimable, soldats, vous dormirez tous les deux dehors. La fraîcheur printanière vous remettra peut-être les idées en place. Et je ne veux ni vous entendre vous plaindre ni vous voir vous disputer, sinon la sanction deviendra de plus en plus rude. Vous, reprit Jimin en toisant l'Arixien, je vous avais ordonné d'accueillir les Tyfodoniens comme vos frères, et vous, continua-t-il en fixant ce dernier, votre susceptibilité et votre colère ne justifient pas que vous insultiez cet homme et mon peuple. Est-ce bien compris ?

L'œil du Phénix [Yoonmin/Namjin]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant