Hannah, tome 3 ~ Les tourments de nos âmes

Hannah - samedi 26 octobre (1)

Je me prépare en silence. Je suis arrivée hier soir, seule. Et c'est seule que j'ai pris une chambre d'hôtel, seule que j'ai mangé, seule que j'ai dormi. C'est la première fois de ma vie que je vis seule, rien que pour moi. Ça ne me dérange pas, en tout cas pas maintenant. Après tout, c'est moi qui ait voulu y aller seule.

L'esprit vide, j'enfile ma tenue noire. Collants, jupe, col roulé et veste de costard. Le tout en noir. Je mets même mes chaussures des grandes occasions, les bottines noires ornées de chaînettes dorées. Et, pour la première fois depuis un certain temps, je n'attache pas mes cheveux. Je les laisse libre dans mon dos, eux qui dégringole jusqu'à mes cuisses à présent.

J'inspire un grand coup, saisit mon sac à main et sort de l'hôtel. Premier arrêt : la fleuriste. J'y achète deux gros bouquets sans me soucier du prix. Il faut bien que je me rachète pour mon retard quand même, ils seront fâchés sinon.

La fleuriste me fait un clin d'œil complice auquel je réponds par un léger sourire. C'est la même qu'il y a trois ans, elle n'a pas changé d'un poil. Elle se contente de hocher la tête en me tendant mon bouquet de gerberas blancs, puis celui de zinnias. La seule différence, c'est que cette fois-ci elle accepte mon argent.

Une fois dehors, je me dirige vers l'endroit fatidique d'un pas que j'espère sûr et confiant. En vérité, je tremble intérieurement. Peut-être que j'aurais dû demander à Adam ou Liam de m'accompagner. Serais-je réellement assez forte pour supporter cette épreuve ?

Et soudain, j'y suis. Le souffle court, je remonte les allées une à une, fouillant les stèles à la recherche du nom de mes parents. J'étais dans un tel état le jour de l'enterrement que je ne me souviens de rien.

Fabrice et Bérénice Wolf.

Je m'agenouille face à eux dans ce cimetière tendrement illuminé par le soleil du matin. Il n'y a pas de fleurs, la tombe est à peine entretenue. Autrefois, Adam descendait une fois tous les deux mois pour s'en charger, mais depuis qu'Héloïse est enceinte il reste près d'elle. Quant au reste de ma famille...

Mes grands-parents maternels sont en maison de retraite, et pour être tout à fait honnête je ne les ai quasiment jamais vus. Ma mère s'est brouillé avec eux en épousant mon père, ainsi qu'avec son frère et sa sœur, alors ils ne m'ont jamais manqué. Et quand je les ai vu à l'enterrement, je n'ai pas eu l'impression de partager la moindre goutte de sang avec eux.

Pour mes grands-parents paternels, c'est la distance qui joue. Ils habitent dans le nord, bien plus haut que la Bretagne. A cause de cet éloignement, je ne les connais pas réellement non plus, mais eux m'ont toujours envoyé une carte pour mon anniversaire et Noël. Et mon père était fils unique, alors personne de ce côté-là de la famille non plus.

Résultat, la tombe n'est plus entretenue depuis quelques mois. C'est une des raisons qui m'a poussée à venir. Ça et le fait que je n'y suis jamais revenue. Trop douloureux. Mais maintenant, je sens que j'en suis capable. Grâce à tous ceux qui m'entourent, qu'ils soient de la famille ou des amis, je peux me tenir là sans trembler.

Lentement, je dépose les gerberas blancs sans la quitter des yeux. Puis, doucement, je me mets à parler. A leur parler.

- Papa, maman... c'est Hannah. Je... je suis désolée de ne pas être venue plus tôt. C'était trop dur de faire face à votre mort, et venir ici signifiait y faire face. Je n'y étais pas prête. Je suis désolée.

Je sens les larmes monter mais ne les retiens pas. Qu'elles coulent ! Je n'en ai plus honte désormais.

- Adam est marié avec Héloïse maintenant, et ils attendent un enfant ! Je suis sûre que vous en auriez été très heureux. L'accouchement ne devrait plus trop tarder maintenant, il me tarde de savoir si c'est un garçon ou une fille. Ils ont voulu garder la surprise, comme ce que vous aviez fait pour Adam et moi ! Mais tout ce qui compte, c'est que ce soit un bébé en pleine santé.