Émile - mardi 29 octobre

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L'atmosphère est tranquille, les lumières tamisées, les discussions discrètes. Ça et là, on entend des discussions aux accents variés, en langues étrangères, entrecoupées d'éclats de rires. En fond sonore, un léger son de jazz, en parfait accord avec les couleurs sobres de cet endroit. C'est calme, apaisant. J'adore toujours autant cet endroit.

- Alors fils, comment ça se passe en ce moment ?

La voix, grave est douce, appartient à mon père. Il me fait face, son visage à peine ridé par les années, ses cheveux bruns glissant sur ses épaules. Il est le seul adulte que je connaisse qui ait gardé une coupe longue, assumant totalement ses longues mèches qui lui descendent jusqu'au coude. Ses yeux verts ont toujours ce teint sombre qui le rend mystérieux, et son sourire tendre suffit à me rassurer, comme autrefois.

Nous ne nous voyons que rarement, à cause de mon emploi du temps chargé mais aussi parce que, malgré sa quarantaine d'années, il est très occupé : entre son emploi à la mairie et son poste « d'enseignant » au club de karaté, son emploi du temps finit par être aussi chargé que le mien, ce qui complique les choses quand on veut se voir mais qui rend également ces rendez-vous d'autant plus précieux.

- Bah écoute, ça va. Je travaille sur de nouvelles chansons en ce moment, j'ai quasiment fini les paroles.

- Bien bien, mais tu vas quand même en cours j'espère ?

Ma grimace répond pour moi. Aussitôt, il fronce les sourcils et se redresse.

- Émile ! Qu'est-ce que j'avais dit ? Ok pour la musique tant...

- ... que je prends mes études au sérieux, je sais. Mais papa, ça ne se contrôle pas l'inspiration ! Quand elle arrive, je l'attrape au vol et joue avec elle tant que je peux, avant qu'elle ne s'enfuit de nouveau.

- Ce n'est pas en faisant de jolies métaphores que tu me convaincras. Les études d'abord, la musique ensuite !

- Tu es au courant que la musique est dans mes études aussi ?

Le sourcil levé, j'attends sa réponse en retenant un sourire. Ces joutes oratoires sont ce qui me manquent le plus avec lui, tout comme un certain humour que je n'ai vu personne manier aussi bien que lui.

- Tu joues encore sur les mots, my little parrot.

- I'm not a parrot, daddy!

- Yes you are, or at least you were.

- Maybe I was, but I'm not anymore. Stop calling me that!

- I do what I want, my little parrot. Remember when you were a little boy?

- Yeah dad, I remember. You always talk about it when I see you. Now, stop calling me like that.

- Not going to happen! fait-il en me faisant un clin d'œil. Maintenant, on arrête de parler anglais et tu me racontes vraiment ce qu'il s'est passé depuis la dernière fois. En détail et sans rien omettre.

Suis-je donc si transparent ? D'abord Millie, puis mon père. A croire que je suis un livre ouvert pour quiconque me croise dans la rue ! Est-ce donc écrit sur mon front que je suis en vrac depuis que j'ai revu Hannah ?

- You sure?

- Pas d'anglais j'ai dit, fait-il en fronçant les sourcils. Tu as la mauvaise habitude de te cacher derrière cette langue quand ça ne va pas.

Je soupire. Il me connaît vraiment trop bien. Mais en même temps, c'est lui qui m'a élevé, lui qui m'a appris cette fameuse langue dès mon plus jeune âge. « Ça te servira plus tard, tu verras ! » me disait-il à tout bout de champ. Mais je ne l'ai jamais entendu l'utiliser ailleurs que chez nous, quand il se disputait avec ma mère. Dès que le ton montait, ils parlaient en anglais. Comme si parler une autre langue adoucissait l'impact des mots mauvais qu'ils échangeaient.

Hannah, tome 3 ~ Les tourments de nos âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant