Émile - mardi 5 novembre (1)

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Un tourbillon d'émotions, une claque en plein visage, une sidération sans limite. Un bien maigre résumé de tout ce que je ressens à cet instant précis. Les mots sont justes, forts, puissants, mais aussi criant de vérité, et si beaux, si gracieux ! L'organisation est rythmée, douce et soigneusement étudiée pour faire ressentir au lecteur les mouvements de l'âme. Un vrai chef-d'œuvre.

Assis à ma table habituelle, mon café bien noir à la main, je dévore le recueil d'Hannah. Certains poèmes me semblent familiers, d'autres complètement inconnus. Mais le fond reste le même, preuve qu'elle suit toujours fidèlement son cœur lors de ses séances d'écritures. Bien plus que moi en tout cas.

Ce qui est sans doute la raison pour laquelle Isidore l'a contactée pour m'aider. Parce que même pour un parfait inconnu, ce recueil est riche de sentiments profonds et réels, explorés dans les moindres détails. Bien plus, même, que cette maudite chanson qui a provoqué tout cela.

Le prochain rendez-vous avec « Sohalia Kakomatheménè » est prévu assez rapidement, afin de me permettre d'avoir le temps de composer mon nouvel album. Ce qu'ils ne savent pas, c'est que la plupart des chansons sont déjà prêtes. Les deux dernières semaines ont été productives, il ne m'en reste plus que quelques unes à revoir.

Sauf qu'ils ne se contenteront plus de ça. Maintenant, ils en veulent des comme cette chanson maudite, qui parlent de moi. C'est un terrain tellement glissant que je fais tout pour éviter de m'y aventurer, et ils m'y poussent directement dessus. « Fracasse-toi si c'est ce dont tu as besoin pour écrire ces chansons », voilà ce qu'ils semblent me dire.

Mais comment aborder ce à quoi je refuse de penser ? Que ce soit mon enfance, mes parents ou Hannah, ce ne sont que des sujets tellement privés que personne n'est entièrement au courant. Quelques bribes par-ci par-là, c'est tout. La seule qui potentiellement aurait toute les pièces est Hannah.

- Tu n'écris pas aujourd'hui ?

Erwan me tire brusquement de mes pensées en s'installant en face de moi. Je jette un coup d'œil dans le café et comprends : c'est le vide complet. Je suis le seul client.

- Non, j'ai décidé de me reposer pour une fois.

Vrai. Je me suis juré de ne pas toucher à mes paroles et partitions, ni même à un seul de mes instruments. Ce qui explique que j'ai eu le temps d'aller acheter Les blessures de la lune et de le lire jusqu'à la moitié en ne l'ayant commencé que ce matin.

- Tu aimes lire ? me demande-t-il en s'affalant sur la table, la tête posée sur ses bras croisés.

- Ça dépend quoi. La poésie, si elle est bien écrite. Les romans historiques et un peu les psychologiques. Et toi ?

- Pas vraiment, personne n'a jamais vraiment fait en sorte de me faire aimer... Mais il y a une trilogie fantastique que j'ai bien aimée. Une histoire d'anneau de pouvoir et de guerre, avec des elfes et des nains alliés. L'alliance au-delà des espèces m'a beaucoup marqué.

Je souris. Comme je le comprends ! Quand on est traité comme un étranger, c'est comme si on nous refusait l'accès à l'espèce humaine. « Il n'est pas comme nous, on ne lui parle pas ». Une devise que j'ai enduré assez longtemps sans jamais la comprendre. Qu'est-ce qui, en dehors de mon apparence, me différenciait d'eux ?

- Tu me la prêteras ? Ça a l'air intéressant.

- Si tu veux, pas de problème. Tu me passeras ce recueil quand tu l'auras fini ?

- Avec plaisir mon cher.

Nous échangeons un sourire taquin avant de nous replonger, moi dans les poèmes d'Hannah, et lui dans ses pensées. Ce n'est que lorsque la porte s'ouvre que nous réagissons, moi en relevant la tête et lui en se levant pour aller à la rencontre de son nouveau client.

Hannah, tome 3 ~ Les tourments de nos âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant