Hannah, tome 3 ~ Les tourments de nos âmes

Hannah - samedi 9 novembre

Parler de Malory avec Émile, je ne l'aurais jamais cru. Discuter d'Ewan non plus. Et de la Meute encore moins. Mais c'est ce qu'on a fait pendant le reste de l'après-midi : on a discuté de tout et de rien en évitant soigneusement les sujets sensibles. Plus de Malory, plus Millie, plus de parents, juste nous deux et ce qu'on a vécu sans l'autre : la Meute pour moi, ses débuts dans l'industrie de la musique pour lui.

Nous avons même réussi à nous faire une petite séance d'écriture, beaucoup plus légère que la précédente. Cette fois, pas de silence mais un CD sorti l'année dernière que nous avons découvert adorer tous les deux. Cette douce musique en fond, nous avons écrit, puis, comme au bon vieux temps, avons échangé nos carnets.

C'était comme si nous avions fait un bond dans le temps, un bond en arrière. Son sourire, ses gestes, l'ambiance, tout était comme autrefois, à ceci près que nos poèmes ont changé : plus profonds, plus exacts, plus complexes. En somme, ils ressemblent aux nous de maintenant, ce qui n'est pas si mal.

Je me remémore tout cela en marchant dans la rue aux côtés d'Émile en direction du métro. Nous discutons encore, il y a tant de choses que nous avons manqué l'un de l'autre ! Nous marchons, lui dans ses vêtements larges avec sa mèche qui lui cache le visage, et moi qui, entre-temps, me suis changée pour mes habits de tous les jours.

Nous discutons de musique et de livres, échangeant nos dernières découvertes tout en évitant de parler de nos métiers respectifs : plus de Darknight ou de Sohalia Kakomatheménè, tout autre chanteur ou auteur est le bienvenu.

- ... et j'ai beaucoup aimé la fin, une métaphore simple mais tellement concrète !

- Ça donne envie tiens... Tu me le prêteras ?

- A condition que tu me prêtes le tien ! Je n'ai jamais lu de philosophie, je suis curieux.

- Deal !

Nos poings s'entrechoquent pour sceller notre accord lorsque je m'arrête brusquement. Nous sommes arrivés devant l'immeuble de Matthieu et Katlyn. Là où se trouve sans doute Evelyn actuellement. Je regrette ce qu'il s'est passé tout à l'heure, je m'étais promise de faire des efforts avec elle. Sauf qu'elle est arrivée au pire moment, alors je lui ai tout rejeté dessus.

- Tu veux aller t'excuser ?

Surprise, je dévisage Émile avec de grands yeux. L'espace d'un instant, j'ai cru que c'était Liam que j'avais à mes côtés, lui qui sait si bien me comprendre même quand je ne parle pas. Mais Émile aussi me comprend, ce que j'avais oublié mais qui, en y réfléchissant, ne me surprend pas. N'avons-nous pas été très proches pendant notre année de troisième ?

- Il faudra bien que je le fasse un jour... je soupire. Même si ce n'est pas la première fois.

- Tu l'as déjà giflée auparavant ?! s'exclame-t-il, l'air de ne pas y croire.

- Ça serait un euphémisme de le réduire à ça, je murmure, la tête baissée.

De ce que je me souviens... Son visage n'était plus très blanc après. Plutôt rouge et bleu. Et pourtant, elle a accepté chacun de mes coups, sinon elle aurait évité. Je sais qu'elle en est capable, tout comme elle sait que je sais. Mais c'était sa façon à elle de se faire pardonner, tout comme elle se laisse frapper aujourd'hui encore, malgré le temps qui a passé.

- Hé, c'est du passé non ?

Je me redresse et remarque le regard inquiet d'Émile. Comme c'est bon de l'avoir avec moi ! De le savoir prêt à me réconforter, voire même à me défendre. Mon cœur se gonfle aussitôt à cette idée. Il est là comme j'en ai tant rêvé, là comme si c'était un rêve.