Émile - samedi 9 novembre

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J'ai envie de pleurer. Je viens de lui dire que je ne suis pas vraiment en couple avec Millie, et sa première pensée n'est pas de savoir ce que cela signifie pour elle, mais plutôt comment je le vis. Elle me fait passer avant elle-même. Comme toujours.

J'ai cru rêver lorsque je l'ai découverte en train de lire mon cours par-dessus mon épaule. Elle n'a pas profité de mon inattention pour s'échapper une nouvelle fois mais est venue me voir d'elle-même. Je n'ai pas pu m'empêcher de m'exclamer, ce à quoi elle a répondu par une douche froide qui, malgré tout, n'a pas éteint ma joie de la voir rester.

Puis elle a évoqué Millie. Je me doutais qu'elle me rejetait en partie pour ça, alors j'ai fini par tout lui avouer. Millie risque de me tuer lorsqu'elle l'apprendra, mais je ne le regrette pas. Hannah devait savoir. C'était une nécessité pour qu'elle comprenne à quel point je tiens à elle.

Je m'attendais à ce qu'elle me demande ce que ça signifie pour elle, qu'elle me dise qu'elle aussi tient à moi ou qu'au contraire ça ne changeait rien. Pas à ce qu'elle s'inquiète pour moi ! Pas à ce qu'elle me pose cette satanée question que j'attends depuis si longtemps et que personne ne me pose !

Et elle reste là, les bras croisés, debout derrière le canapé alors que je suis assis dessus, attendant une réponse. Elle ne bougera pas tant qu'elle ne l'aura pas. Elle est têtue comme une mule, butée comme un âne. Elle ne bougera pas tant que je ne lui aurai pas répondu sincèrement. Et elle le sentira si je mens.

Une larme roule sur ma joue. Elle est là, vraiment là. Là pour moi, pour me soutenir, pour m'écouter, pour me consoler. Là comme elle l'était avant, là comme elle ne l'était plus depuis trois ans. Là de toute son âme, entière, blessée mais complète. Peu importe le reste, elle est là pour moi.

A peine remarque-t-elle ma larme qu'elle me prend dans ses bras, me serrant contre elle. Pliée en deux au-dessus du canapé, elle m'enveloppe de sa chaleur, me transmet une tendresse qui ne fait que redoubler mes pleurs. En silence, des larmes s'échappent de mes yeux, cachées dans son étreinte.

Je me laisse aller contre elle. Je m'abandonne dans ses bras. Je lâche complètement prise. Je profite de sa présence, d'elle, pour tout relâcher. Elle n'est pas là pour Darknight, pas là pour un contrat, pas là pour des chansons. Elle est là pour moi, juste pour moi. Et elle me comprend.

Je pleure pour toute cette comédie sans fin, pour le stress que mon identité soit découverte, pour ma frustration de ne pas réussir à écrire de belles choses, pour ma mère qui n'a jamais voulu de moi, pour mon père qui est trop occupé, pour Millie qui n'attend que la fin de notre contrat, pour Isidore qui me met la même pression qu'il reçoit de ses supérieurs, pour Erwan qui ne se doute de rien.

Je suis tellement fatigué de tout ça. J'aime chanter, partager ma passion avec le public. Mais tout ce qui est autour, les dates butoirs, la pression, l'image que je dois renvoyer... Ça me pèse, ça me pèse tant que des fois je n'en dors plus, trop occupé à composer pour les satisfaire.

C'est amusant d'une certaine façon. Je n'ai pas beaucoup revu Hannah depuis que ma carrière est lancée, mais elle est la seule à avoir vu à travers moi, à avoir deviné que j'avais passé la nuit à composer. La seule aussi à remarquer que tout ça me pèse, à me demander sincèrement si je tiens le coup. La seule à tout remarquer, comme avant.

Elle a beau m'avoir abandonné pendant trois ans, m'avoir fui, m'avoir craché des choses à la figure, elle reste celle qui me comprend et voit à travers les mensonges et les illusions dont je m'entoure. Elle se sent sans doute coupable, et en un sens j'ai envie qu'elle se sente coupable pour ces trois années. Ma colère est toujours là, quelque part, mais elle me réconforte si bien qu'elle la rendort d'un geste.

Hannah, tome 3 ~ Les tourments de nos âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant