Émile - lundi 11 novembre

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Tout est trop calme. On dirait deux serpents prêts à se sauter à la gorge au moindre faux pas. Ou plutôt deux loups, prêts à se déchiqueter de leurs crocs acérés. Tous deux sont en colère, personne ne le niera. Mais si je comprends pour Ewan, je ne saisis pas pour madame Salaun.

- Je n'ai pas de fils, nie-t-elle, toujours autant impassible.

Je sens Hannah trembler contre moi. Il faut dire qu'ils dégagent tous les deux une telle aura que c'en devient presque irrespirable. C'est comme si on assistait à un combat de dieux, Athéna et son savoir contre Hermès et ses mensonges. Mais Athéna est Ewan et Hermès madame Salaun. Les genres sont inversés, ce qui ne rend l'impression que plus puissante.

- Alors tu me dénies le droit d'exister.

J'ai beau ne pas connaître Ewan, je ressens toute sa peine, sa douleur. Il souffre, sa voix s'est cassée, mais il reste devant nous comme pour nous protéger, pour protéger Hannah de sa mère. Il ne se rend pas compte qu'ainsi, nous prenons de plein fouet toutes ses émotions, ses sentiments. On ne voit que son dos, mais on sent, on ressent tout.

En revanche, nous pouvons clairement voir madame Salaun. Si elle est restée impassible jusque-là, j'aperçois maintenant une pointe d'hésitation dans ses yeux noirs. Elle sent autant que nous à quel point Ewan est à bout, à quel point il se force à rester debout pour la défier, à quel point il souhaite qu'elle le reconnaisse.

- Je... commence-t-elle en, pour la première fois, fuyant nos regards. Je n'ai pas de fils. Je ne le mérite pas.

Mériter ? Un fils ne se mérite pas, il est c'est tout. Ewan est son fils, qu'elle le veuille ou non, qu'elle pense le mériter ou non. Ce serait idiot de nier ce fait pourtant évident, même un inconnu verrait leur lien de parenté.

- C'est vrai, tu ne mérites pas d'être ma mère, concède Ewan en serrant les poings. Mais tu peux recevoir mon pardon si tu essaies.

Madame Salaun lui adresse un pauvre sourire, triste et dénué de toute joie.

- Je n'essaierai pas. Mais j'accepte de venir en aide à la Meute, poursuit-elle en se détournant, comme pour s'en aller. Je te contacterai pour plus de précisions, je dois aller discuter avec le chef des Thuyas.

- Attends !

Surprise, elle se retourne vers son fils. Celui-ci s'approche d'elle, mais s'arrête à quelques mètres. Il laisse de la distance entre eux, mais a pris la peine de s'avancer. Je ne pense pas mentir en disant que nous sommes tous les trois, sa mère, Hannah et moi, suspendus à ses lèvres.

- Celian a toujours pensé à toi, dit-il en croisant les bras. Dans son portefeuille, il avait une photo de toi, moi bébé dans les bras. Il a désespérément attendu des explications quant à ta disparition, et il est mort sans savoir. J'estime que j'ai le droit de savoir.

Madame Salaun fronce légèrement les sourcils, et il me semble entrevoir les coins de sa bouche tressauter.

- Tu appelles ton père par son prénom ?

- Pas plus que toi, il n'a gagné le droit que je le vois comme un parent.

- Il a veillé sur toi pendant toutes ces années, tu lui dois le respect, gronde-t-elle.

- Il me donnait juste de quoi ne pas mourir de faim, il ne s'est pas occupé de moi, rétorque Ewan L'un comme l'autre, vous étiez bien trop pris par votre travail pour faire attention à moi. Si c'était pour me faire endurer ça, pourquoi m'avoir gardé ?

Des parents lointains donc. Je n'ai heureusement pas connu ça, mais lui n'a vraiment pas eu de chance : abandonné par sa mère, négligé par son père... Ce dont madame Salaun ne semble pas au courant, puisqu'elle affiche un air ébahi. Mais comme auparavant, elle se reprend bien vite.

Hannah, tome 3 ~ Les tourments de nos âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant