Émile - jeudi 7 novembre

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Je suis vidé. Dans ma main, le carnet que m'a offert Hannah. Comme pour me dire de prendre un nouveau départ. Comme pour me dire de tourner la page et d'avancer. Comme pour me rappeler notre année de troisième aussi.

Combien de fois avons-nous écrit de concert avant d'échanger nos carnets pour lire ce que l'autre avait écrit ? Il y en a tellement que je ne peux les compter. Par habitude, j'ai failli le lui tendre lorsque nous nous sommes arrêtés. Mais le tremblement de sa main m'a immédiatement stoppé.

Elle se retenait de pleurer. Nous avons écrit pendant plusieurs heures, et tout au long elle se retenait de pleurer. Pourtant, sa voix n'a pas tremblée lorsqu'elle a mis fin à la séance. Ni lorsqu'elle a salué madame Schäfer et Isidore. Seule sa main la trahissait.

A quel point a-t-elle dû se retenir au cours de ces trois ans pour en arriver à un tel niveau de maîtrise ? Je me doutais qu'elle avait vécu d'autres choses que ce dont j'ai entendu parler, mais combien ? Et quoi exactement ?

Ça m'inquiète. Je veux savoir pour pouvoir la réconforter, être là pour elle. Mais elle a une nouvelle fois posé des barrières. « Réponds et je te le dirai. » Mais répondre signifie lui expliquer ce qu'elle représente pour moi. Face à elle. Ce dont je suis incapable.

- Dark !

Surpris, je lève les yeux. Juste devant le café, la limousine de Millie m'attend. Et, penchée par la vitre ouverte, elle me fait de grands signes. Si je n'étais au courant de rien, j'aurais vraiment l'impression qu'elle est une jeune femme qui attend son amoureux. Elle est vraiment douée pour faire semblant.

Je laisse un grand sourire s'épanouir sur mon visage et la rejoins en courant. Qu'est-ce qu'elle fait là ?! On n'avait rien prévu cette semaine. Du moins, rien dont je me souvienne.

Elle sort de la voiture et me saute dans les bras. Nous nous enlaçons sous les flashs des téléphones sortis aussi vite que l'éclair pour nous mitrailler. Mais je n'y prête pas attention, focalisé sur elle. Son corps tremble. Elle a un immense sourire aux lèvres alors qu'elle se retient de pleurer.

Tout comme Hannah.

Quelque chose cloche. Je la sens au bord de la crise de nerfs alors qu'elle a toujours mieux supporté les paparazzis que moi. Sans plus réfléchir, je la soulève pour la porter comme une princesse et la dépose dans la limousine avant de la rejoindre. A peine la portière est-elle fermée qu'elle s'effondre dans mes bras en sanglots.

Un rapide coup d'œil du côté du chauffeur pour m'assurer que la vitre de séparation est bien remontée, puis je la serre dans mes bras. La voiture démarre pour je ne sais où, mais je me contente de la consoler de mon mieux en lui caressant doucement le dos et la laissant pleurer tout son saoul.

Au bout de quelques minutes, elle se calme un peu et s'éloigne de moi. Son maquillage tient bon gré mal gré, mais ne parvient pas à cacher sa mine défaite. Je ne l'ai vue comme ça qu'une seule fois, le jour de notre rencontre. Que s'est-il passé ? Une mauvaise nouvelle j'imagine, mais qu'est-ce qui a bien pu la faire craquer comme ça ?

- Mon père a fait une rechute, murmure-t-elle d'une voix brisée.

Non... Je la reprends aussitôt dans mes bras, où elle éclate une nouvelle fois en sanglots. Elle était très proche de lui, jusqu'à ce qu'une mauvaise chute sur un chantier le rende muet et paralysé. Mais elle m'a raconté qu'elle parvenait encore à communiquer avec lui, qu'elle pouvait voir dans ses yeux qu'il la reconnaissait encore.

Une rechute signifie une possible perte de ce seul lien qu'il leur restait. Une nouvelle crise pour elle qui est déjà si fragile. Fragile mais forte en même temps. Je ne sais pas comment elle a fait, mais alors même qu'elle utilise son vrai nom, les médias ne savent rien sur sa famille. Aux yeux du monde, elle est apparue de nulle part et n'a aucun lien avec personne d'autre que moi.

Hannah, tome 3 ~ Les tourments de nos âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant