Émile - lundi 28 octobre

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Je fixe l'écran de mon ordinateur, tendu. Ma chambre est plongée dans le noir, seule la lumière bleue qui s'échappe de l'objet de mon attention éclaire un tant soit peu la pièce. Assis sur mon lit, la couette sur les épaules et une tasse de café noir à la main, je ne cesse de relire le dernier mail d'Isidore, un paragraphe en particulier.

D'ailleurs, la chanson que tu m'as envoyée a été très appréciée par toute l'équipe, même le grand patron a été impressionné ! Il a décidé de la lancer aujourd'hui, tu ne devrais pas tarder à avoir des retours. Pour l'instant, elle est juste disponible pour les membres premium des plateformes qui te soutiennent, mais elle ne tardera sans doute pas à sortir pour le grand public.

Mon dieu, mais pourquoi ont-ils fait ça ?! Cette chanson est affreuse, de tous les points de vue. Son arrangement musical est médiocre, ses paroles claquées au sol, ma voix fausse. Comment a-t-elle pu plaire ?

Je ne l'ai envoyée que pour qu'ils me fichent un peu la paix avec l'album que je dois sortir le plus rapidement possible. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle leur plaise ! Je l'ai écrite et composée en à peine quelques heures, son style est beaucoup trop hésitant et sa grammaire est complètement fausse. J'ai même inventé un mot, fait des rimes incorrectes et la longueur de mes vers est totalement aléatoire.

J'ai peur d'aller voir sur mes réseaux. Ça va être la fin de ma carrière, tous mes fans vont se rendre compte que je ne suis pas si extraordinaire que ça. Bon, depuis le début je ne comprends pas trop ce qu'ils me trouvent, mais là c'est sûr est certain que cette chanson va les décevoir.

Je bois une gorgée et manque de la recracher. Une notification vient d'apparaître sur l'écran, une notification de l'une de mes plateformes préférées. Une certaine « Moonlight » vient de liker ma chanson. Première fois que je vois ce pseudo, qui, pendant un court instant, me rappelle terriblement Hannah, ma précieuse princesse lunaire.

Je n'ai pas le temps de m'y attarder plus que d'autres notifications apparaissent, par centaines. Des likes, des commentaire postés sous ma chanson et des messages privés. Je les vois défiler sans cliquer sur un seul d'entre eux, trop stupéfait pour réagir.

Comment ? Comment ont-ils pu aimer cette chanson si imparfaite ?

C'est trop pour moi. J'éteins mon ordinateur et me prépare à sortir rapidement. J'ai besoin de prendre l'air, de me ressourcer. L'incompréhension qui envahit mon être me pousse à chercher des réponses, à réécouter cette maudite chanson, mais je la fuis comme la peste. Un seul endroit pour échapper à mes questions : The Polestar, le café où travaille Erwan.

Lorsque j'en pousse les portes, je découvre mon ami en train de parler à une jeune fille de notre âge. C'est la première fois que je la vois, mais je comprends immédiatement qui elle est : la fameuse Cécilia dont il me parle tout le temps.

Petite, blonde à la coupe garçonne, elle me fait penser à un soleil miniature. Sa présence illumine ce café, un simple sourire de sa part réchauffe le cœur. Ses habits singuliers me paraissent cousus à la main, ce qui me rappelle qu'elle étudie dans une école d'art. En tout cas, c'est ce qu'Erwan m'a dit.

Je ne sais pas trop quoi faire. Aller le saluer ? Aller m'installer ? Repartir ?

Le destin décide pour moi lorsque la porte s'ouvre et laisse entre une fille dont les cheveux noirs de jais sont coiffés en une longue queue de cheval. Ses yeux sombres balayent le café et s'arrêtent sur Erwan et Cécilia. Pas un sourire n'orne son visage, qui m'apparaît d'autant plus dur que ses sourcils sont froncés.

- Cécilia ! appelle-t-elle d'une voix autoritaire.

La blonde se retourne vers elle, un léger sourire aux lèvres.

Hannah, tome 3 ~ Les tourments de nos âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant