Émile - samedi 9 novembre

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J'éteins l'aspirateur et jette un coup d'œil circulaire à mon appartement. J'ai entièrement nettoyé la cuisine, le salon et l'espace où sont entreposés toutes mes affaires de musique. Poussière, balai, aspirateur, j'ai tout récuré de fond en comble. Parce qu'Hannah vient aujourd'hui.

Une stupide idée d'Isidore. « Vous vous sentirez plus à l'aise si on n'est pas là, alors profitez-en pour vous mettre à l'aise ! Invite-la chez toi par exemple. » Avant de me donner son numéro. Un numéro différent de celui que j'ai toujours dans mon téléphone personnel. Sans doute utilise-t-elle un portable différent pour la vie privée et la vie publique, comme moi.

Toujours est-il que je l'ai contactée par message, lui proposant de venir chez moi pour la séance d'aujourd'hui. Elle a accepté sans plus de fioritures, me demandant simplement mon adresse. Un échange froid, neutre, professionnel. Exactement ce qu'il est censé être.

Je range le matériel de nettoyage et regarde rapidement l'horloge. 9h28. On a convenu qu'elle arriverait à 9h30. Je n'ai que deux minutes pour me donner l'air présentable !

Je me précipite dans ma chambre et échange à toute vitesse mon pyjama contre une salopette large et un col roulé noir, démêle rapidement mes cheveux et attrape mes lunettes au moment où la sonnette retentit. Je me précipite pour lui ouvrir.

Queue de cheval, salopette noire et chemise blanche. Mêmes vêtements qu'à nos deux premières rencontres officielles. Sa tenue d'écrivaine. Mais sans son masque.

- Salut, fait-elle en détournant le regard.

- Salut, je lui réponds sans trop savoir quoi faire.

- Je peux entrer ?

- Ah oui oui, désolé.

Je me décale puis referme la porte derrière elle. Elle s'avance, observe mon lieu de vie sans rien dire. Je la détaille de dos silencieusement. Elle se tient droite, les épaules parfaitement alignées et non plus légèrement courbée et repliée sur elle-même, comme elle avait l'habitude de le faire.

- Tu joues toujours de la clarinette ?

Surpris, je cligne des yeux, la dévisage. Elle regarde du côté de mon espace musique, là où se trouvent le piano, la guitare, le matériel d'enregistrement... et la clarinette. L'instrument qui m'a fait découvrir la musique. Celui qui m'a accompagné dans mes premiers pas de musiciens et que je n'ai jamais pu abandonner. J'ai beau avoir un son merdique et aucune technique, je continue d'en jouer tant que je peux.

- De temps en temps.

- C'est bien.

Ne jamais oublier d'où l'on vient. La phrase flotte dans l'air. Elle me l'a déjà dit plusieurs fois, et doit sans doute se retenir de me la dire maintenant. Les racines sont très importantes pour elle, raison pour laquelle, j'imagine, elle a tant souffert du départ de son frère, l'une de ses racines les plus anciennes.

- Tu veux t'asseoir où ? je lui demande en m'avançant à son niveau.

- Ta chambre.

Je sursaute tandis qu'elle se plaque la main sur la bouche. Je me sens rougir, mes joues chauffent.

- C'est sorti tout seul, pardon, enchaîne-t-elle en se détournant. Oublie.

- Pourquoi la chambre ?

C'est à son tour d'être surprise, au mien de me détourner.

- Parce que c'est ton espace le plus intime.

- Et ?

Désormais face à face. Yeux dans les yeux.

- Et c'est dans nos espaces les plus intimes qu'on écrit le mieux sur soi.

Hannah, tome 3 ~ Les tourments de nos âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant