Hannah, tome 3 ~ Les tourments de nos âmes

Émile - mercredi 6 novembre

- T'es en retard ! me crie Erwan de sa position, les mains en porte-voix.

- C'est toi qui est en avance ! je grommelle dans ma barbe en me dépêchant de le rejoindre.

Ce n'est que lorsque je me retrouve près de lui que je me rends compte que c'est la première fois que je le fois sans son uniforme du café. Sweat gris clair, veste en cuir noir et jean. Simple, mais ça lui va bien. Ce qui fait son charme, c'est son sourire contagieux et ses cheveux crépus qui lui font comme une auréole autour de la tête.

- On était obligé de se voir aujourd'hui ? je marmonne en me massant le cou.

J'ai très mal dormi hier. Tout se mélangeait dans ma tête, Hannah, Maya, Ewan Salaun, madame Salaun... Mais aussi cette Meute et ces Quartiers dont ils ont parlé, et surtout la séance d'écriture prévue demain avec Hannah. Bref, j'ai mal dormi et je suis crevé, surtout que j'avais des cours tôt ce matin. Je crois que je dormais à moitié dans le métro ce matin.

- Non mais vas-y, t'as qu'à dire que tu voulais pas me voir ! fait-il mine de s'indigner.

- Je ne voulais pas te voir.

Malgré mon air sérieux, il explose de rire. Comment fait-il pour être en forme ? Existerait-il un remède miracle qui pourrait me redonner de l'énergie quand j'en suis vidé ?

- Bon, on va où ? me demande-t-il en posant son bras sur mes épaules.

- Un endroit où je pourrai dormir, ça serait bien, je grommelle en le repoussant.

- On pourrait croire que t'as des valises sous les yeux, mec. Pourquoi t'as pas dormi hier soir ?

Nous nous mettons en marche tandis que je soupire.

- J'aurais bien voulu figure-toi. Mais le sommeil ne veut pas souvent de moi, alors...

- T'es insomniaque ?! Tu m'étonnes, avec tous les litres de café que tu bois dans la journée...

- Pff, t'es bête ou quoi ? C'est pour me tenir éveillé ça.

- Bon ok, j'ai une idée !

Je m'arrête et fronce les sourcils tandis qu'il se plante devant moi, un grand sourire sur les lèvres. Qu'est-ce qu'il va bien pouvoir imaginer ?

- T'as qu'à venir chez moi ! Tu pourras dormir et on sera quand même ensemble.

- Je croyais que tu voulais que je te raconte tout, je dis d'un ton suspicieux.

Il esquisse un rictus amusé. Ou plutôt rusé.

- Vrai ! Mais tu ne me raconteras rien de cohérent dans cet état, alors je te permets gracieusement de te reposer. Tu en penses quoi ?

Après tout... pourquoi pas ? Je suis vraiment exténué, ça ne peut que me faire du bien de me reposer un peu. Et si en plus j'ai un ami qui veille sur moi, je ne vais certainement pas me plaindre. Je n'hésite pas plus longtemps avant d'accepter, et nous voilà partis pour son chez-lui.

J'écoute à peine ce qu'il me raconte, concentré sur chaque pas que je fais. Mettre un pied devant l'autre sans trébucher devient un exploit tant je suis épuisé. Sans doute parce que la fatigue est tout autant physique que psychologique. Tout arrêter, au moins juste pour une minute.

- C'est là ! s'exclame enfin Erwan en désignant une petite bicoque toute de guingois, coincée entre deux immeubles.

Volets à la peinture qui se décolle, très petit jardin rempli d'herbes folles et grillage penché sur le côté. En un sens, je m'y sens immédiatement bien. Cette apparence un peu fofolle me donne l'impression qu'ici, on peut être qui on veut sans être jugé. Sans doute parce que ceux qui habitent ici ont eux-même été jugés.