Hannah - 24 octobre

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Il pleut. Il pleut à verse. Il pleut des cordes. C'est un vrai déluge. C'est triste. C'est joyeux. Je ne sais pas vraiment. J'aime la pluie. Mais là, elle me rend mélancolique. Édredon bien chaud, tasse de thé vert chaud, p'tits beurres. Rien ne manque, si ce n'est ce qui me manque toujours.

Lui. Encore et toujours lui. Ça va et vient comme les vagues, un jour rien et le lendemain tout. Je pense à lui mais j'en ai marre de penser à lui. Je l'aime oui, mais pas lui, lui ne m'aime pas. Lui, il en aime une autre. Et puis, peut-on vraiment dire que je l'aime quand je ne lui ai pas parlé depuis plus de trois ans ? Il ne sait plus rien de mes états d'âme, je ne sais plus rien des siens. Puis-je encore l'aimer malgré ça ?

Et moi, qui suis-je pour penser comme ça ?

Cette question jaillit des profondeurs de mon être.

Qui suis-je ?

Administrativement parlant, une orpheline sous la garde de son frère en première année de fac.

Mais je ne suis pas seulement ça.

Parfois je pense, il m'arrive de penser, surtout lors de foudroyantes nuits d'orage, quand je suis bien au chaud sous ma couette, quand mes dix doigts s'agitent pour écrire, pour parler, pour m'exprimer à moi-même, je pense, dans ces moments-là comme maintenant, il me semble que je pense à moi.

Qu'est-ce qui me construit ?

Mes souvenirs sans doute, cette sacré mémoire qui est pleine d'images horribles. Image comme dans imagination, est-ce que c'est l'imagination qui projette ces images dans ma tête ? Je doute, mais le doute est une grande et belle force, c'est Pierre Bottero qui l'a dit.

Donc, je doute.

De moi, de lui, d'elle, d'eux, de nous et de vous, parfois même de Dieu et du monde. Je doute de mes perceptions, de mes interprétations, de ce que je devine. Tout ce que je sais sans que personne n'ait jamais mis de mots dessus.

La mémoire et le doute. Bien, et ensuite ?

Les étoiles, la nuit, la lune. Oui, c'est un bon début aussi. La lune, c'est moi. La nuit, c'est lui. Et les étoiles. Les étoiles ! Elles sont eux. Allégorie de ma vie. Ou bien c'est une métaphore ? Oui sans doute, mais vie et métaphore, ça ne rime pas. Pas un bon vers, pas une bonne strophe.

Allégorie donc.

Le sang aussi. Surtout le sang en fait. J'ai grandi dans le sang non ? Je suis née par le sang, j'ai été éclaboussée de sang, je me suis saignée et j'ai fait saigner. Chaque naissance provient du sang, et elle a sans doute saigné quand elle est morte. Eux, je ne pense pas. Moi, quand j'ai essayé, ça a beaucoup saigné. Apparemment en tout cas, je m'en souviens à peine moi.

Ah, les trous aussi ! Les oublis. C'est moi ça aussi. Mais je m'éparpille, retournons au sang.

Le sang que j'ai versé donc. D'abord de moi, puis des autres. Enfin, il n'y a que deux personnes que j'ai réellement frappées, et elles n'ont pas saigné. Mais la violence, cette chose symbolisée par le sang, était bien présente. Rajoutons donc violence plutôt que sang.

Je m'effraie moi-même parfois. Ce visage horrifique, effrayant c'est pas moi ça non. Impossible. Et pourtant, c'est bien moi qui les ai frappés, moi qui ai craché ces mots. Je l'ai dit à lui, cet autre lui, que je me faisais peur. Il a juste souri et m'a serré dans ses bras. Ça veut dire que je ne lui fais pas peur ?

Famille. Encore un autre mot. Mes frères, ma belle-sœur. Eux, ils sont encore en vie. Mes parents et ma sœur. Morts. Mon grand-frère de sang, mon petit frère (même si en vrai il est né avant moi) de cœur et ma belle-sœur qui vivent tous au même endroit et qui s'occupent bien de moi. Et mes parents biologiques et ma sœur de cœur qui reposent au même endroit, endroit que je n'ai toujours pas pu aller voir.

Hannah, tome 3 ~ Les tourments de nos âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant