Émile - mercredi 30 octobre

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Je contemple son visage en silence. Elle est belle, ce n'est pas une nouveauté, mais elle paraît paisible quand elle dort, ce qui embellit encore plus ses traits. Ses cheveux flamboient dans la lumière du petit matin que laissent passer les rideaux entrouverts, dessinant une auréole de feu autour de sa tête. On dirait un ange. Elle ne paraît plus brisée, détruite, mais entièrement elle-même.

A-t-elle vécu d'autres traumatismes que celui que je connais ? Sans doute, tout comme elle n'est pas au courant de tout ce par quoi je suis passé.

Soudain, ses sourcils se froncent et son visage se crispe. Un cauchemar, j'imagine. Je ne l'ai jamais vue dormir sans cauchemarder, c'est comme si c'était une étape obligatoire qu'elle s'oblige à endurer, nuit après nuit. Et elle a toujours refusé que je la réveille dans ces moments-là, et m'a même demandé de la laisser y faire face seule. Elle refuse de me montrer la moindre de ses faiblesses et de s'appuyer sur moi, de dépendre de moi.

Alors je me lève silencieusement et sors de la chambre sur la pointe des pieds. La lumière qui inonde l'immense pièce à vivre me fait plisser les yeux. Quelle heure est-il ? J'étais trop épuisé hier soir pour me mettre un réveil, et ce alors même que j'ai rendez-vous aujourd'hui avec mon manager, Isidore.

Je jette un coup d'œil fatigué vers l'horloge... et bâille lourdement. J'ai beau avoir dormi comme un loir, je suis encore épuisé. Les émotions, ça fatigue après tout. Et on peut dire que j'ai été servi hier.

Je m'installe lentement au bar de la cuisine après avoir lancé la cafetière. J'ai bien besoin d'un café pour me réveiller, mais surtout pour avoir la force de faire face à Isidore sans rien laisser transparaître. Avec ses yeux de lynx, il arrive toujours à voir quand je mens ou pas, c'est frustrant.

Mais arrivera-t-il à deviner ce qu'il s'est passé hier soir ? J'en doute. Moi-même, j'ai du mal à y croire. L'ai-je vraiment vue ? Était-ce vraiment réel ? Est-ce vraiment arrivé ?

C'était Hannah, c'était elle. Et elle m'a ignoré, comme si nous n'étions que deux inconnus. Trois ans et elle m'oublie ? Trois ans et je ne suis même plus une connaissance ? Trois ans et j'ai disparu de son monde ?

Quand elle me fixait, ce devait être pour essayer de se rappeler d'où elle me connaissait. Je devais lui donner une impression de déjà-vu. Oui, ça devait être ça. Pourquoi serait-elle restée immobile sinon ? Pourquoi n'aurait-elle rien dit ? Elle m'a oublié, c'est la seule solution.

Mais alors, qui a bien pu parler de moi à Axel Rayes, celui qui m'a introduit dans le monde de la musique ? Qui d'autre qu'Hannah connaissait ma passion pour la musique ? Qui d'autre aurait pu deviner que je voulais en faire mon métier ?

Je ne sais pas, mais ça ne peut plus être elle. Je refuse d'y croire, elle m'aurait reconnu sinon. Elle m'aurait souri, m'aurait parlé, m'aurait peut-être même pris dans ses bras. Elle aurait montré qu'elle me reconnaissait, quelle que soit la façon.

Mais là, rien. Elle m'a effacé de sa vie, c'est fini. Comme un rêve qui se brise, un jour qui s'éteint sans lendemain, une fleur qui se fane. L'expression « c'est mort » n'exprimerait pas mieux la situation.

Le sifflement de la cafetière me fait revenir à la réalité. J'attrape une tasse noire, basique, et me sert du café en contemplant la pièce à vivre. La cuisine est séparée du salon par le grand bar auquel je m'installe, remplie d'appareils électroménagers, tout en noir et blanc.

Le salon, lui, est tournée vers l'immense baie vitrée qui fait entrer la lumière du jour : un grand canapé couleur crème y fait face, tandis que l'énorme écran de télévision lui tourne le dos. Et tout le long du mur qui fait face à la cuisine, une grande bibliothèque, plus remplie de livres qu'elle ne peut en supporter.

Hannah, tome 3 ~ Les tourments de nos âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant