Émile - mardi 22 octobre

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Foule anonyme qui se presse autour de moi, foule étouffante mais réconfortante, foule ennemie et amie. Foule que j'aime et que je hais, foule qui m'aime et me hait. Dualité, paradoxe, oxymore même. Tout ça en une seule chose si nombreuse que je ne peux la compter.

Les écouteurs vissés dans les oreilles hurlant de la musique pour couvrir le bruit de toutes ces conversations, j'avance. Je suis bientôt arrivé, bientôt je serai au calme, un calme presque surréaliste. J'aperçois le bâtiment au loin, toujours aussi immense.

Ce n'est qu'une bibliothèque universitaire (communément appelée BU), mais ils en ont fait une véritable œuvre d'art. Des colonnes de pierres, des étagères d'un bois apaisant et surtout, un personnel toujours disposé à aiguiller les étudiants en quête du livre parfait pour leurs recherches.

Sans hésiter, j'arrache mes écouteurs et pousse la double porte vitrée. En un instant, le brouhaha disparaît, remplacé par un silence studieux. J'inspire un bon coup, heureux de retrouver cette odeur de bois et de papier. Les quelques gens du campus qui m'ont remarqué doivent me prendre pour un vrai rat de bibliothèque, ce qui n'est pas entièrement faux.

Après tout, je n'aime rien tant que me plonger dans une aventure palpitante, un récit émouvant ou bien un classique magnifiquement écrit de A à Z. J'adore devenir quelqu'un d'autre, être confronté aux mêmes choix que ces héros complexes et découvrir avec ahurissement une fin surprenante. Les livres sont la porte des possibles, on peut tout y trouver.

Mais aujourd'hui, je ne suis pas là pour le plaisir. Non, aujourd'hui je viens fouiller les recueils de poèmes en quête d'inspiration pour les textes de mes chansons. Ça m'arrive plus souvent que je ne voudrais l'avouer. D'être en manque d'inspiration je veux dire.

En même temps, que dire de plus, que tirer de plus de ma vie ? Je l'ai déjà entièrement fouillée, dépouillée de tous ses moments les plus intimes, j'ai farfouillé jusqu'à faire remonter plus d'un souvenir douloureux, j'ai creusé toujours plus loin. Mais maintenant c'est fini, j'ai touché le fond du trou. Et la peur constante de décevoir en reprenant un thème déjà exploré ne cesse de me poursuivre.

Je me faufile sans un bruit dans la section poésie et examine les recueils. J'en ai déjà lu beaucoup, feuilleté d'autres, survolé certains. Mais la grande question, celle qui me guide, c'est celle-ci : sur quoi ai-je envie d'écrire ?

Je m'arrête devant Les Fleurs du Mal, de Charles Baudelaire. J'ai déjà extirpé tout ce que je pouvais de cette œuvre, alors pourquoi est-ce qu'elle m'attire ? Non seulement elle m'a servi pour mes chansons, mais aussi pour mon bac de français. Je pourrais même citer certains poèmes de tête, comme ça.

- OK on fait ça alors, à tout à l'heure !

Machinalement, je tourne la tête en direction du bruit... et reste figé. J'ai toujours eu du mal à qualifier quelqu'un de beau. Pour moi, une personne est ce qu'elle est et c'est tout, cela ne sert à rien d'essayer de faire des catégories. Pourtant, lui est véritablement beau.

Des yeux émeraudes, des cheveux aussi éclatants que le soleil, un corps musclé et un visage fin. Habillé simplement d'un t-shirt noir surmonté d'une chemise blanche, il attire l'œil avec une sorte d'aura de chaleur. Comment expliquer ça clairement ? C'est comme s'il était réellement un soleil miniature, le genre de personne qui vous réchauffe le cœur par leur simple présence.

Il regarde son portable, un sourire heureux accroché aux lèvres. C'est comme s'il vivait le meilleur, le plus joyeux moment de sa vie. Amoureux ? Sans doute, et l'heureuse ou heureux élu(e) est très certainement la personne qu'il avait au téléphone. Ils ont dû décider d'un rendez-vous, ce qui expliquerait cette tête toute éblouie de bonheur.

Hannah, tome 3 ~ Les tourments de nos âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant