Millie - mardi 29 octobre

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Je crie. Faites que quelqu'un m'entende, par pitié ! Ou qu'Émile arrive vite. N'importe quoi, n'importe qui qui puisse m'aider !

Je crie, mais bien vite une main moite, puante me couvre la bouche, étouffant le bruit que je fais. Mes yeux affolés balaient à toute allure les visages qui m'entourent. Bon sang, mais qu'est-ce qui m'a pris ? Pourquoi a-t-il fallu que je sois prise d'une envie soudaine d'aller me balader le jour où je n'ai personne pour m'accompagner ?

Je ne voulais pas appeler Émile. Je voulais qu'il profite de son moment avec son père, et surtout être en paix. Parce que s'il avait été là, on aurait dû jouer à ce jeu sans fin des amoureux, jeu qui me tape sur les nerfs plus qu'autre chose, jeu nécessaire pour m'assurer qu'il ne dise rien.

Les médias ne sont pas au courant de ma situation familiale, et ils ne le seront jamais. J'y veillerai. Millie Brown a beau être mon vrai nom, ils ne trouveront rien. Ils ne sauront jamais que mon père est paralysé et incapable de parler, ni que ma mère tient une boutique de vêtements. Ils ne sauront pas que j'ai passé les premières années de ma vie en Angleterre, d'où me vient cet anglais si parfait, ni que j'ai été harcelée dès mon arrivée en France à cause de ça.

Rien, ils ne sauront rien.

Mais cela ne les empêche pas de polluer leur espace avec des photos de moi, que ce soit avec Émile ou en plein shooting photo, voire pendant mes défilés. Raison pour laquelle je suis si reconnaissable, raison pour laquelle je me suis faite « accoster » par ces lourdauds. Sans doute.

Tous leurs visages se ressemblent, je n'en distingue aucun. Qui est le chef ? Que me veulent-ils ? Je suis bien trop terrifiée pour y réfléchir.

Ils me touchent, je sens leurs mains sur mon corps, ils caressent mes courbes, me chuchotent mille et une paroles plus dégoûtantes les unes que les autres. Je ferme les yeux pour ne plus les voir, mais c'est encore pire, je sens encore plus et entends toujours plus.

Enfer. Sortez-moi de là !

Mouvement sur ma droite. J'aperçois deux silhouettes par mes paupières entrouvertes, une grande et une moyenne. Un homme et une fille. Ils échangent quelques mots que je ne perçois pas à travers le brouhaha qui m'entoure, puis l'homme lâche le bras de la fille et s'avance vers nous. Vers moi. Vers eux.

Son regard noir me percute, pierre d'onyx froide et sans émotion. Sa voix qui s'élève est en tout point semblable à ses yeux : grave et glaciale.

- Je vous laisse cinq secondes pour relâcher la demoiselle, lance-t-il sans cesser de s'avancer.

Toute l'attention se concentre sur lui, mais il continue d'avancer. Le groupe de porcs rit, se fout de sa gueule. Ils échangent des regards amusés, des sourires tordus. Ils ne croient pas un instant que cet homme pourra leur faire quoi que ce soit.

Mais moi je le vois. Je la vois. La petite lueur qui brille au fond de ses pupilles, bien plus dangereuse qu'une arme quelconque. Il va les écraser, ils n'ont aucune chance.

Il s'arrête à quelques petits mètres de nous, lève son regard froid sur eux. Il est sûr de lui, convaincu de vaincre ces rustres. Mais ce n'est pas de l'arrogance, il en est capable, tout dans sa position et son attitude le clame.

Et la fille ? N'a-t-il pas peur qu'ils s'en prennent à elle ? Il la retenait tout à l'heure, n'a-t-il pas ne serait-ce qu'un peu peur pour elle ?

Mais un rapide coup d'œil m'apprend que la fille est aussi calme que lui. Elle a croisé les bras sur sa poitrine et observe la scène avec un petit rictus tranquille. A-t-elle l'habitude de ce genre de situation ? Son assurance me clame que oui, mais son style me hurle le contraire. Depuis quand les petites filles modèles dans son genre connaissent-elles les souffrances du peuple ? Tresse, jupe, collants. Plus stéréotypé, tu meurs. Mais alors pourquoi n'affiche-t-elle aucune peur ?

Hannah, tome 3 ~ Les tourments de nos âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant