Hannah, tome 3 ~ Les tourments de nos âmes

Hannah - samedi 2 novembre / lundi 4 novembre

- Mais c'est pas vrai !

Encore endormie, je lève un regard fatigué vers Liam, qui fixe Maya avec une expression indignée. Le cerveau embrumé de sommeil, j'essaie de détailler la situation. On est samedi matin, il pleut et les deux tourtereaux sont aussi bien habillés que moi. En survêt et sweat. Ce n'est que lorsque je remarque le bol qu'ils ont tous les deux et la bouteille de lait à la main de Maya que je comprends.

- Comment tu peux aimer cette atrocité ?!

- Ce n'est pas une atrocité, c'est une combinaison appréciée par les personnes normalement constituées !

Et c'est reparti sur le énième débat sur les céréales avec ou sans lait. Liam a horreur de ça, et depuis que Maya a eu Alix chez elle l'année dernière, elle ne jure plus que par ça. Je ne compte plus les disputes auxquelles j'ai assisté depuis le début de l'année à ce sujet. Enfin, disputes... s'ils étaient officiellement en couple, ça se terminerait par un bisou de réconciliation donc peut-on réellement appeler ça une dispute ?

Moi, je beurre tranquillement mes tartines en contemplant le ciel gris par la fenêtre. Combien de temps cela fait-il que je n'ai pas écrit ? Combien de temps depuis que je n'ai pas entièrement créé quelque chose ? Beaucoup trop de temps.

Mais la peur viscérale de me découvrir incapable de vraiment renoncer à Émile m'empêche de prendre mon stylo. Et si écrire un poème me jetait en plein milieu de la figure le décès de mes parents, celui de Malory ou ma tentative de suicide ? Serais-je capable d'y faire face sans m'effondrer, comme je le faisais avant ?

Ces pensées me torturent pendant tout le petit-déjeuner, mais je les mets de côté en faisant ma toilette. J'ai prévu de travailler aujourd'hui, de m'installer sur mon fauteuil avec une couverture sur les genoux et une tasse de thé à la menthe à portée de main pour ne pas avoir à bouger. Sans oublier les écouteurs enfoncés dans les oreilles.

Écouteurs qui se révèlent vite nécessaires quand je vois Maya et Liam se poser sur le canapé, prêts à travailler aussi. Oh, ils sont sérieux quand ils travaillent. Mais dès que l'un des deux fait une pause, il ne peut s'empêcher d'embêter l'autre, ce qui revient à faire du bruit et accessoirement me déconcentrer.

Nous sommes plongés dans notre travail depuis un moment lorsque la sonnerie de mon téléphone résonne. Elle a le mérite de retenir l'attention des deux loustics qui me lancent le même regard interrogateur, auquel je réponds par un haussement d'épaules avant d'attraper mon portable.

Hilda Schäfer.

Je m'empresse de m'éloigner pour décrocher. Que me veut-elle ? Pourquoi m'appeler aujourd'hui ? On avait rendez-vous la semaine prochaine, que se passe-t-il ?

- Allô ? je fais d'une petite voix en m'enfermant dans ma chambre.

- Bonjour ! Désolé de vous déranger un samedi matin, mais c'est une urgence !

- Oui... ?

- On m'a contacté pour vous proposer d'accompagner un chanteur dans l'écriture de ses chansons !

- Hein... ?

Je suis perdue. Qu'est-ce que c'est que ça ?

- Oui, j'étais plutôt surprise moi aussi. Mais ils m'ont expliqué que ce chanteur a du mal non pas à trouver l'inspiration mais à la traduire en mots. Et au vu de votre travail, ils se sont dits que vous seriez la candidate idéale !

- Ça veut dire...

- ... qu'ils ont lu Les blessures de la lune ! Vous comprenez, Sohalia ?

J'en reste bouche bée. Oui, je comprends. Ces personnes ont dû étudier soigneusement les dernières critiques pour établir une sélection, et au milieu de tous c'est moi qu'ils ont choisie. Comment est-ce possible ?