Hannah - lundi 28 octobre

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Le chemin qui mène au petit appartement universitaire de Matthieu est plutôt court, surtout en métro. Pourtant, j'ai l'impression qu'il dure des heures. Est-ce à cause du silence qui s'est installé entre nous trois à peine nous sommes-nous retrouvés ? A cause de l'angoisse de plus en plus visible qui saisit Katlyn ? Ou bien est-ce parce que je ne cesse de repenser à sa chanson ?

Mes pensées s'agitent dans tous les sens. Je ne peux m'empêcher de me repasser ses paroles en boucle. C'est la première fois qu'il écrit quelque chose d'aussi personnel, d'aussi profond, d'aussi intime. Comment le vit-il ? Est-ce que ça lui a fait du bien de partager ses sentiments ? Ou bien a-t-il l'impression d'avoir commis une énorme bourde en le faisant ?

Tel que je le connaissais, plutôt la deuxième option. Mais maintenant, après plus de trois ans, est-il toujours le même ? J'en doute. Et pourtant, je ne cesse de l'espérer.

- Hannah ! fait Matthieu en me secouant l'épaule. On descend là.

- Oui pardon, j'étais ailleurs, je me force à lui sourire.

Petit rictus que je sors par réflexe, qui ne me fait aucun bien et qui n'est absolument pas discret. N'importe qui aurait pu voir qu'il est faux, pourri jusqu'à la moelle. Matthieu ne s'y trompe pas et fronce les sourcils, mais la foule qui nous happe me permet d'échapper à son regard scrutateur. Je me faufile comme une anguille à travers cette masse de gens et les attend à la sortie du métro.

Matthieu me rejoint rapidement, mais Katlyn tarde. Au bout d'une dizaine de minutes à l'attendre, nous replongeons dans cette masse sans échanger un seul mot en nous tenant la main pour ne pas nous perdre. Du haut de son petit mètre soixante quinze, Matthieu essaie de la repérer par le dessus tandis que je fouille par le dessous.

Je me fige et écrase la main de mon ami. La colère m'envahit à toute allure, je me mets à respirer fort et à serrer le poing. Ça, je ne le tolérerai pas. Sous aucun prétexte.

Je lâche la main de Matthieu et m'élance au pas de course. En un instant, j'intercepte le bras du gros molosse qui menace une Katlyn toute tremblante et le lui tords violemment, sans pitié. On ne s'en prend pas à plus faible que soi. Jamais !

- Je peux savoir ce que t'étais en train de faire ? je lui demande d'une voix sifflante.

Son visage est complètement défait par la peur, peut-être même par la terreur. Il me fixe comme si j'allais le tuer sur-le-champ, dans les plus atroces souffrances, alors que tout ce que je fais c'est l'immobiliser d'une prise en lui tordant le bras. Quelle mauviette.

- Réponds.

Il jette un coup d'œil autour de lui, espérant sans doute un quelconque secours. Mais personne ne s'est arrêté quand il hurlait sur Katlyn ou même quand il s'apprêtait à la frapper, alors je ne vois pas pourquoi quelqu'un s'arrêterait pour lui.

- Je suis désolé ! finit-il par balbutier, le front couvert de sueur.

- Je t'ai dit de répondre à ma question, pas de t'excuser.

- Pitié !

Je tords un peu plus fort.

- Ré-ponds, j'exige d'une voix ferme. Ou je te détruits tes bijoux de famille.

Cette fois, je vois clairement la terreur s'inscrire dans son regard. Il tente de s'échapper, tire sur son bras comme un forcené, mais tout ce qu'il réussit à faire c'est de se tordre encore plus – toujours plus – le bras.

- Hannah, arrête !

Je sursaute et relâche ma prise. L'autre bougre en profite pour se défaire et s'enfuir à toute allure, tandis que je jette un regard éberlué à Matthieu. Ses yeux sont inquiets, mais je discerne, au fin fond de ses prunelles, un peur qui me glace le sang. Si ça ne me dérange pas de terroriser des inconnus qui s'en prennent aux autres, j'ai horreur d'effrayer mes amis. Je n'aime pas qu'ils me voient comme ça, qu'ils voient la bête que je suis capable de devenir.

Hannah, tome 3 ~ Les tourments de nos âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant