Émile - lundi 4 novembre

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Je ne voulais pas venir. Quand Isidore m'a appelé pour m'annoncer qu'il avait trouvé la candidate idéale, j'ai hésité à lui faire faux bond. Mais j'imagine bien qu'il s'est démené pour trouver cette fameuse personne, je m'en serais voulu de rendre tout ce travail vain.

Alors j'ai attaché mes cheveux, enfilé mes lentilles, passé mes habits moulants et un sweat beige dont j'ai rabattu la capuche sur la tête pour passer plus facilement inaperçu. Isidore a respecté mon silence pendant tout le trajet, m'informant seulement du nom de l'autrice censée m'aider.

Sohalia Kakomatheménè. Celle qui a écrit le recueil que lisait Millie. Celle qui semble se comparer à la lune. Celle qui m'a rappelé Hannah. Était-ce une bonne chose ? Je n'aurais su le dire.

Je n'ai fait aucun effort quand nous sommes entrés dans la salle de la rencontre. J'ai gardé la tête baissée et me suis caché derrière Isidore, sans tenir compte du hoquet de surprise qu'a laissé échapper l'éditrice de Sohalia Kakomatheménè en me reconnaissant.

L'échange de banalités d'Isidore et de l'éditrice, madame Schäfer, m'a très vite ennuyé. Alors j'ai détaillé l'endroit où nous nous trouvions : cachée au-dessus d'un café que je ne connaissais pas, la salle était très pauvrement meublé, juste deux canapés face à face et une table basse entre eux.

Puis j'ai levé les yeux vers Sohalia Kakomatheménè. Elle me fixait, elle aussi. Cachée derrière un masque blanc qui lui recouvrait entièrement le visage, vêtue d'une salopette noire patte d'éph, ses cheveux marron clair ramenés en une queue de cheval. Je ne pouvais voir que ses yeux, d'un marron clair parsemé de paillettes dorées.

Des yeux marrons avec des paillettes dorées.

J'écarquille les yeux sans y croire.

Hannah ?

Elle détourne la tête, mais c'est trop tard. C'est elle, j'en suis sûr. Alors mon intuition était bonne ? C'est bien elle qui a écrit Les blessures de la lune ? Elle a publié un recueil de poème sous un pseudonyme ?

- Que diriez-vous de vous asseoir ? propose soudain madame Schäfer.

- Très bonne idée ! approuve aussitôt Isidore.

Nous nous installons donc, Isidore et moi dans un canapé, l'éditrice et Hannah dans l'autre. Très vite, des papiers sont posés sur la table basse, accompagnés de stylos pour les signatures. Mon manager m'a prévenu qu'il serait très pointilleux dans cette démarche, pour que mon identité en ait le moins à souffrir. Je le crois, mais la présence d'Hannah change la donne.

- Je vais aller acheter un café pour Darknight et moi, vous en voulez ? lance Isidore après un temps de discussion.

- Je vous accompagne ! J'ai une manière très particulière de demander mon café, ça sera plus simple, explique madame Schäfer en se levant. Vous en profiterez pour faire connaissance ?

Hannah hoche la tête, et je me force à faire de même avant qu'ils ne sortent, nous laissant seuls.

- Pourquoi tu as accepté ? Tu n'as pas besoin de mon aide.

Attaque directe. Elle n'a pas perdu la main, c'est le cas de le dire. Sa voix, étouffée par le masque, me semble glaciale, comme si elle m'en voulait de me retrouver là avec elle.

- C'est le patron qui a décidé, pas moi. Pourquoi toi tu as accepté ? Tu n'as rien à y gagner.

- Si. T'oublier.

Flèche en plein cœur. Elle ne me ménage pas, ne pèse pas ses mots pour me plaire. C'est ce qui m'a toujours attiré chez elle, mais... bon sang, ça fait mal !

Hannah, tome 3 ~ Les tourments de nos âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant