Les odeurs, les bruits, les couleurs... Rien n'a changé. Ce sont toujours les mêmes commerçants : ici le boucher, là les marchands de fruits et légumes, dans un autre coin celui du miel, juste à côté le fromager. Je reconnais tout, je m'oriente comme si je n'avais jamais cessé d'en arpenter les étals.
Et je me souviens. A chacun de mes pas est accroché un souvenir. Je me vois, petite, sautiller tout autour de ma mère en choisissant les yaourts de la laitière, puis plus grande, adolescente, silencieuse mais observatrice. Je me souviens des mots de ces commerçants, eux qui me regardaient dans les yeux sans peur, contrairement à mes camarades du collège qui préféraient m'éviter.
Mais plus que tout, c'est le souvenir de ma mère que je raccroche à cet endroit. C'était elle qui arpentait ces allées couvertes d'étals, bien avant moi. Mon père n'est pas présent dans ces souvenirs, sinon par les quelques messages qu'il nous envoyait des fois pour rajouter un ingrédient à la liste.
Mais ma mère y est, et elle me sourit. On discute beaucoup dans ces moments-là, d'elle ou de moi, surtout de moi. On discute et pourtant je ne lui ai jamais confié ce que je ressentais pour Émile, ce que je ressentais envers Adam, ce que je ressentais envers les personnes du collège. On parle de choses en général, de la société, de l'évolution des mœurs. Mais ça nous plaît, c'est notre moment à nous.
Je m'attends presque à la voir débarquer devant moi, et me demander d'une voix moqueuse où sont les œufs que je devais acheter. Je me vois lui répondre qu'il n'y en avais plus, elle rétorquer que j'ai dû mal voir. On se chamaille un peu, puis on va vérifier et, comme d'habitude, elle a raison.
Oui, je vois presque sa silhouette se diriger vers moi. Elle est là avec moi, et pourtant plus jamais on ne pourra partager un de ces moments.
Mais cette fois, je ne pleure pas. Seul un sourire nostalgique éclaire mes lèvres. Oui, elle est partie. Je commence doucement à la laisser partir. La cicatrice est encore bien présente, mais je la laisse filer, comme l'eau qu'on fait couler dans nos mains mais qui nous échappe quand même.
Je m'arrête devant l'étal de fruits séchés. Nous n'en achetions qu'occasionnellement, comme une petite gourmandise interdite, un péché mignon que nous partagions mais que mon père détestait. Un goût commun qui nous rapprochait encore plus.
Par automatisme, je me mets à chercher les fraises. Mes fruits préférés, que je ne pouvais jamais avoir sur mon gâteau d'anniversaire puisque je suis née en novembre. Lorsque je les trouve, une femme est en train de s'en servir. Je me déplace vers elle pour attendre mon tour, sans réellement lui prêter attention.
Puis elle lève la tête pour tendre son sachet rempli au commerçant, et je me fige. Ce visage, ces cheveux, cette taille... Un fantôme du passé. Je ne l'ai croisée qu'une ou deux fois, mais je m'en souviens parfaitement. Elle avait cet air heureux qui dissimulait plutôt bien un mécontentement dont je n'ai jamais compris la cause. Elle avait un mari formidable, un enfant adorable.
Se sentant sans doute fixée, elle se tourne vers moi. L'interrogation habite ses yeux, vite remplacée par la reconnaissance. Elle me reconnaît, et ses yeux s'écarquillent. Ces fameux yeux d'un marron si clair que j'avais écris un poème sur eux d'ailleurs.
- Annabelle ?
Surprise, je cligne des paupières. Puis me rappelle qu'elle est très mauvaise pour se souvenir des noms.
- Non, c'est Hannah, je luis réponds avec un sourire. Je suis heureuse de vous revoir madame Mines.
Son visage s'assombrit presque aussitôt.
- C'est Laporte maintenant.
Je sursaute. Quoi ? Qu'est-ce que cela veut dire ?
- Tu n'as toujours pas repris contact avec Émile à ce que je vois, reprend-elle. Tu serais au courant sinon.
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Hannah, tome 3 ~ Les tourments de nos âmes
Teen FictionÉmile est étudiant en musicologie le jour, chanteur mondialement connu le reste du temps. Sa carrière est florissante, et il a une magnifique petite-amie, Millie, qui est mannequin. Pourtant, il n'est pas entièrement heureux. A chaque concert, ses y...